Surprise hier en lisant le Journal de l'île : après-demain, sort _La Kaz Razade_, version créole rényoné de Astérix chez Rahazade ! Pas sûr que la traduction vaille celle de l'équipe d'Axel Gauvin sur les 2 Tintins qui sortiront fin octobre mais attendons d'avoir lu avant de juger. Les lycéens rényonés liront-ils Madame Bovary en BD créole un jour ?
http://www.temoignages.re/article.php3?id_article=32552
Vous êtes le traducteur choisi par Caraïbéditions pour la traduction de "Astérix chez Rahazade" en créole de La Réunion, le créole rényoné . Quel est votre parcours personnel, et
d’où vient ce goût pour la traduction ?
François Saint Omer : Le goût pour la traduction m’est venu tôt. Je pense avoir commencé à le faire de façon naturelle dès l’enfance, période durant laquelle j’entends à la fois le français,
langue de l’enseignement notamment, et le créole réunionnais, langue que parle ma maman. C’est le début naturel pour tout natif créole, pourrait-on dire, mais je décide en grandissant de m’y
consacrer plus formellement en faisant de la langue l’objet de mes études supérieures.
Grâce à mes études et mes expériences terrain, j’ai peu à peu accumulé une expérience de terrain au travers de plusieurs approches de la traduction franco-créole et inversement.
Vous n’êtes malgré tout pas le seul linguiste en mesure de faire cette traduction d’Astérix en créole réunionnais, comment vous êtes vous greffé sur ce projet ?
Presque par hasard, même si le hasard ne vient pas tout seul. J’ai été contacté par une amie, webmaster d’un site consacré au CAPES en créole dans la zone Caraïbe, Francesca Palli. Elle avait une
nouvelle à m’apprendre : elle m’avait spontanément proposé, après avoir été jointe par l’éditeur Caraïbéditions, pour devenir le traducteur d’une version en créole réunionnais
d’Astérix ! J’ai été très enthousiaste, d’autant que se présentait là une opportunité à saisir pour moi, mais aussi pour la langue de la Réunion. Elle m’a parlé de cette jeune maison
d’édition et de leur première parution aboutie d’un album d’Astérix en créole antillais. M. Charbonnier, l’éditeur, m’a joint par la suite ; plusieurs postulants étaient pressentis pour
effectuer cette traduction et un comité allait se réunir pour statuer sur ces candidatures. 15 jours plus tard, il m’a recontacté : j’avais été choisii ! J’étais très content de pouvoir
dès lors donner mon accord et me lancer sur ce projet.
Astérix est la BD la plus lue en France et notamment à La Réunion. Traduire une telle BD n’a pas dû être chose facile...
Oui, ça été un travail difficile, surtout par rapport à tout ce qu’Astérix véhicule au niveau inconscient du langage. Il fallait faire une traduction, mais surtout une adaptation par rapport à
notre contexte local.
Pour le personnage d’Astérix, c’était aisé : il m’a tout de suite fait penser à Ti Jean, un petit garçon espiègle et débrouillard, une figure d’un de nos contes traditionnels.
Si certains noms de personnages, tels qu’Astérix ou Obélix, devaient rester identiques à la version originale, d’autres, en revanche pouvaient être "créolisés", exemple du barde Assurancetourix.
J’ai donc décidé à un moment donné de discrètement récolter des avis dans mon entourage, sans parler de ce projet de traduction en cours à mes interlocuteurs.
La plus grande erreur à ne pas commettre lorsqu’on traduit une oeuvre comme celle d’Uderzo et de Goscinny, c’est de faire une traduction littérale, "mot à mot" des expressions et des jeux de mots
qui se glissent dans les bulles. Une telle traduction n’a aucune saveur, et ne se raccorde en rien au vocabulaire et aux expressions locales. J’ai tenté de ne pas choisir des solutions de
facilité, pour le coup.
Mais conserver l’esprit et l’humour d’Uderzo, en garder tout le sel, ça n’a pas été facile ! Pour transformer le texte et que cela reste, on doit naviguer sur le fil du rasoir !
Conserver l’esprit, s’approprier cet humour et le créoliser aura été la grande difficulté, mais avez vous pris plaisir à faire cette traduction ?
Oh oui, on prend beaucoup de plaisir ! Il y a des moments formidables, il y a l’humour, et la langue, la langue d’Uderzo. Une langue ni trop littéraire, loin de textes plus consensuels
rempli d’images et de jeux de mots fabuleux. Je me suis remis en question en effectuant ce travail délicat, je dois dire que ça restera une expérience vraiment formidable pour moi en tant que
traducteur en tout cas.
Avez-vous fait usage d’outils pour travailler ou faites vous plus confiance à votre instinct et votre expérience ?
Comme à présent, beaucoup d’outils ont le mérite d’exister, je travaille toujours avec plusieurs dictionnaires créoles français lorsque je fais une traduction. Lorsque je "butais" sur un mot, je
les consultais et je réfléchissais beaucoup. Je souhaitais coller à la réalité de notre langue sans trahir ni l’auteur ni les lecteurs.
Je cherchais surtout à éviter à la fois des mots trop francisés, et aussi éviter d’avoir à créer des mots ; parce que je suis un créateur de mots manquants en réunionnais.
Je voulais que les lecteurs puissent comprendre tout le vocabulaire de cet Astérix et s’y retrouvent ; en tout, sur cet album, je n’ai finalement dû créer que deux mots sur l’ensemble du
texte. Les autres mots sont des mots usuels et actuels, parlés par les Réunionnais dans le langage courant, celui de tous les jours, le créole de la rue, sans être du créole "SMS" bien
évidemment.
Quelle graphie avez-vous utilisée ?
En lisant la BD dont la traduction en créole réunionnais a été rédigée dans la graphie 83, les puristes pourraient être surpris par quelques libertés que nous avons prises avec cette graphie.
Qu’ils comprennent que c’est le souci de respecter l’identité du héros Astérix qui est à l’origine de l’usage du "x", inexistant dans la graphie.
C’est aussi la spécificité du genre qui a guidé les autres choix : dans le souci d’user de tous les artifices graphiques nécessaires à un intérêt soutenu, pour rendre par exemple le
caractère affecté et précieux des propos du personnage de Sèrane ; pour ne pas trop décevoir le lecteur friand de formules latines émaillant le texte original, tout en restant cohérent avec
les règles de la graphie. C’est ainsi que « contraria contrariis curantur » a été écrit « kontraria kontrariis kurantur ». Au final, l’exercice nous aura amenés à aborder,
dans la pratique, une réflexion enrichissante dont nous espérons faire profiter le lecteur.
A qui est destiné cet ouvrage ?
A tout public, bien entendu ! Il peut être acheté et lu par des créolophones confirmés ou des créolophones "en herbe", notamment grâce à la présence d’un lexique créole-français en fin
d’ouvrage. Cet album sera diffusé et distribué sur La Réunion, mais également dans toute la zone Océan Indien et en métropole auprès de nos compatriotes réunionnais.
La genèse du projet
A ce jour, les nombreux voyages d’Astérix n’ont jamais conduit notre héros jusqu’aux lointains rivages de La Réunion. Ceci n’a cependant pas empêché l’écho des exploits de cet irréductible
gaulois et de ses fidèles compagnons de route, de traverser les mers et les océans pour arriver jusqu’à nous.
Depuis presque cinquante ans, grâce à Albert Uderzo et René Gosciny, les Réunionnais ont pu suivre les exploits de leur personnage de BD préféré. Aujourd’hui, le temps est venu... si Astérix ne
vient pas aux Créoles c’est le créole qui ira à Astérix... Le succès de la première publication d’Astérix en créole des Antilles, en début d’année a convaincu l’équipe de Caraïbéditions de la
nécessité de lancer Astérix en créole de La Réunion. Notre héros national s’est déjà prêté, à sept reprises, à la pratique des "langues de France" (nom de baptême des langues régionales de France
donné par le Ministère de la Culture).
Après le créole des Antilles, le créole de la Réunion devient officiellement la 107ème langue et dialecte du monde parlée par Astérix et ses compagnons d’aventure. Cet ouvrage a été traduit par
François Saint Omer. Roger Theodora, le correspondant de Caraïbéditions à La Réunion a également apporté sa précieuse collaboration à la publication de cet album.
Les réunionnais, de souche et de coeur, vont pouvoir prendre plaisir à découvrir, en créole, toutes ces expressions célèbres tombées dans le langage courant et parfois devenues proverbe, telles
qu’ « ils sont fous ces romains », « le ciel va nous tomber sur la tête », « par Toutatis »... en espérant qu’elles
deviennent elles aussi un jour une référence à La Réunion.
Les créolophones débutants vont également pouvoir découvrir cet album grâce à un lexique créole/français d’une centaine de mots.
Présentation de Caraïbétidions
Caraïbéditions est une jeune Maison d’édition qui souhaite ouvrir un nouvel espace d’expression créole et plus largement "Domien".Après la publication, début 2008, du premier Astérix en créole des Antilles, "GRAN KANNAL LA", du premier Titeuf en créole des Antilles, "CHIMEN LAVI" et du premier Astérix en créole de La Réunion, "LA KAZ RAZADE", Caraïbéditions prévoit de publier de nouvelles BD en créole ainsi que des ouvrages en français, destinés à tout public, mêlant le texte, le dessin et la photo sous toutes ses formes : BD, livres jeunesse illustrés, romans, essais...
Pour cela, elle souhaite mettre en avant des talents issus des Départements d’Outre Mer, débutants ou confirmés et permettre à des auteurs étrangers reconnus de travailler sur des projets ayant pour thème les Antilles-Guyane, La Réunion et ses habitants.
Elle souhaite également publier des oeuvres françaises ou étrangères en créole.
Le lectorat de Caraïbéditions est tant à l’intérieur des frontières des Antilles et de La Réunion, qu’à l’extérieur de celles-ci. Cependant, à travers sa diffusion, Caraïbéditions tente, avant tout, de toucher les lecteurs antillo-guyanais et réunionnais, de souche ou de coeur, basés dans les départements d’Outre-Mer, en métropole ou dans le reste du monde