J’ai longtemps observé aujourd’hui, dans les Hauts de Mafate, un tec-tec construisant son nid. Il faisait alterner des écheveaux de barbes de Saint-Antoine avec des brindilles rigides qu’il arrachait vigoureusement aux branches avec son bec et des bouts d’herbes sèches. Chaque fois qu’il voulait rejoindre son nid, il se dérobait à ma vue pour ne pas que je voie le berceau de ses futurs oisillons et pour cela, rejoignait une branche qui le dissimulait, toujours la même, à proximité du nid.
C’était un acacia mimosa qui servait de perchoir et de paravent. Comme toute cette forêt, entre 1600 et 2000 mètres, bruit d’insectes et sert de lieu de concert ininterrompu à des oiseaux de toutes sortes, on mesure le service rendu. Le tronc de la fougère arborescente a longtemps servi à fabriquer des pots nourriciers pour les plantes d’appartement. Enumérons : l’ombre, le filtrage de la lumière (des UV), la rétention d’humidité, le bois de chauffage, le bois de menuiserie, les marches de bois et petits ponts des sentiers forestiers, les charpentes, l’écorce, la résine, la sève, les chatons, les fruits, le pollen, les feuilles, la chlorophylle, la production d’oxygène….
Alors, le poème de Ronsard nous revient :
« Écoute bûcheron, arrête un peu le bras ;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.
Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette. »
Alors, on comprend mieux pourquoi essences, arbres, arbustes, souches, se concertent à tout moment sur les vilénies humaines.
Alors, on comprend mieux pourquoi de branche en branche, on aide les oiseaux à nicher, les fleurs à fleurir, les amoureux à s’aimer, les esclaves marrons à se cacher.
Alors, on comprend mieux pourquoi des troncs et des branches fondent des associations d’entraide, des compagnies d’étais, des ligues de défense contre la bûchonnerie, pourquoi ils créent de nouvelles danses, de nouvelles figures, de nouvelles implorations, pourquoi leurs bras noueux, leurs phalanges nouées et leurs squelettes secs prient jour et nuit pour le salut d’êtres humains qui n’ont plus grand-chose d’humain.