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1 novembre 2008 6 01 /11 /novembre /2008 06:45
le voile de la mariée

Huit jours après ma randonnée à La Nouvelle, dans le cirque de Mafate, les souvenirs sont intacts, à nul autres pareils, souvenirs d'un cirque sans doute proche de ce qu’il a toujours été puisque aucune voiture n’y pénètre. Première antenne de télévision en 1987 ! Première connexion internet la semaine dernière ! Quel calme ! Ah, aller de fleur en fleur, de parfum en parfum, d’oiseau en oiseau..

Arriver au col de la Fourche par Saint-Paul, Saint-Denis, Sainte-Marie, Saint-Suzanne, Saint-André, Salazie, Grand-îlet prend du temps certes, mais pour venir à pied par la rivière des galets il faudrait trois jours consécutifs et mon emploi du temps du lycée ne me les donne pas. Photo du voile de la mariée à Salazie. On laisse la voiture au parking payant du col de la Fourche à 13h et on monte à pied jusqu’au col des boeufs (2000 m d’altitude) où des porteurs chargés de sacs plus lourds qu’eux vont descendre aussi car le brouillard empêche les hélicos de ravitailler. Deux heures plus tard, à 1500 mètres d’altitude, l’un d’entre eux remonte déjà avec 3 bonchiens (Bobby, Camel et Tinoua) dans l’intention d’être redescendu avant la nuit ! Sans doute Le Grand raid dit aussi Diagonale des fous dont les 2000 participants vont traverser le cirque de Cilaos et celui de Mafate dans quelques heures lui donne-t-il des ailes…

 



La descente se fait dans le brouillard et sous la pluie, ce qui présente l’avantage d’entendre les chants d’oiseaux, les hélicoptères restant au sol. Un air d’aube de l’humanité, de douceur des temps premiers. Les gouttes d’eau s’accrochent aux pétales, aux barbes de Saint-Antoine, aux feuilles immenses des fougères arborescentes, aux tiges et lianes.




ci-dessus et ci-dessous, fougères arborescentes (fanjan)






Les tecs-tecs construisent leur nid, les tuit-tuits et merles péis chantent à tue-tête et à gorge déployée, un papangue tourne autour du morne de Fourche. Par moments, des fantômes se meuvent dans des clairières laiteuses. Les paysages changent avec l’altitude, les mouvements des nuages, le soleil qui se cache derrière un cirque puis un autre, les sinuosités du sentier, l’ombre portée des arbres, les déclivités plus ou moins embrumées ou ennuagées, les taches de couleurs des fleurs et chatons. A l’approche du village, les tamarins des hauts et les cryptomérias font place aux géraniums, aux arums sauvages et aux frangipaniers.










Grands bois

Au premier début, la forêt est un océan : non pas hostile, seulement étrangère, sans mesure de l'homme, suffocante d'indifférence. On croit divaguer sous les portiques du bois sacré, subtilisant d'une oeillade un peu de l'amitié des arbres et des pierres : tu en viens à courir, gorge nouée, pourchassé par la frénésie que tu pensais lever. Il te faut sauter sur la liane de tes propres nerfs, racines dénudées, filantes, soulevant un pied de basalte.

Quand monte la lune au plein, les effrois se dissipent, la grâce vous fait danser. Débordement des sens, comme à la fontaine la cruche oubliée de la belle que l'on presse de baisers – le sang caille en sève.

Nicolas Gérodou

Passage des lémures, p13, 2003, éditions Grand Océan











700 mafatais vivent là, amoureux de leur cirque, disponibles pour les randonneurs. Sans eux, pas de gîte, pas de nourriture. Obligation de réserver. Le confort est excellent, l’accueil chaleureux. La maîtresse de mon gîte est excessivement hospitalière et prévenante. Le repas du soir est délicieux et copieux.


l'école (où se trouve la borne wifi)

le centre ville

les beaux quartiers

l'église

le restaurant

On ne peut se perdre à La Nouvelle : les enfants de l’école vous ont peint un plan !

L’hélicoptère, bien que coûteux et bruyant, reste indispensable. Même les patrons de mon gîte en possède un. Il a coûté la vie à la jolie boulangère il y a de cela 5 ou 6 ans. Le mari en est encore fou de douleur. Se risquer en hélicoptère quand il n’y a plus de visibilité est périlleux et or les nuages arrivent très vite.

la cage de l'hélico avec son filet et des panneaux de cellules photovoltaïques


Le lendemain, retour au col des boeufs. Peu de nuages. Rotation des hélicos dès 6h. Le cirque est inondé de lumière. Les remparts font 1000 mètres de hauteur du côté du Maïdo et des Trois Salazes. Je reconnais ce trident que j'avais vu deux semaines plus tôt depuis Cilaos.








tec-tec




autel près du col des boeufs

la pluie a repris pendant la montée, source d'inspiration pour ce tec-tec

bouclage : le voile de la mariée

Je raconterai l’histoire de Mafate une autre fois, depuis les premiers esclaves marrons jusqu’aux efforts récents du conseil général pour apporter un peu de confort dans les îlets les plus déshérités (chauffe-eau solaires et blocs sanitaires). A l’école primaire de La Nouvelle, les cours ont lieu sur quatre jours pour que l’instit ait le temps de rentrer chez lui. Tout se fait à pied : tournées des infirmières et surtout tournée du facteur. Depuis qu’il est passé à la télévision, tout le monde connaît Angélo Thiburce, né à Grand-Place (près de La Nouvelle). Ayant expliqué qu’il devait souvent renouveler ses chaussures mais sur ses propres deniers, car Laposte ne lui versait aucune indemnité pour cela, il a reçu des paires de chaussures par centaines du monde entier dans les jours qui ont suivi ! Il a pris sa retraite en 2002. Son fils a écrit un livre sur lui, je vais chercher à me le procurer.

Je pourrais vous parler longuement du Grand Raid les 24-25 octobre, de ses 8700 mètres de dénivelés cumulés et de ses 147 kms parcourus en 20h par le vainqueur, de Laurent Jalabert qui a mis le double ce qui reste un exploit quand même.

Je préfère rappeler ce que les réunionnais attendent tous dans les mois qui viennent : le classement des cirques au patrimoine mondial. « 
Dans l’élan de la création du Parc national de La Réunion, l’île de La Réunion brigue le label de site du Patrimoine mondial pour ses “Cirques, Pitons et Remparts”. Ce serait pour l’île un formidable levier pour s’ouvrir au monde tant parfois, se ressent l’éloignement de tout, le sentiment de mise à l’écart. Les experts de l’UICN, mission d’évaluation internationale de l’UNESCO étaient là du 17 au 24 octobre. Leurs remarques seront transmises officiellement à la France en début 2009. Le comité UNESCO du Patrimoine Mondial qui se réunira à Séville en juillet 2009 pour se prononcer sur cette inscription.

 

Trois poèmes d’Alain Agard pris dans le recueil _Terre_craquée_, octobre 2008, Sac à mots édition, La Rotte des bois, 44810 La Chevallerais

 

Terre craquée

comme les cœurs des cafres

 

avec des lèvres douces

et de profondes plaies

et des fleurs de bananes

enfouies sous le feuillage

comme les marrons

dans les hauts du temps noir

 

Douceur fragile

à peine perceptible

dans la sanguinolence

 

 

Mafate douceur

Mafate misère

des ombres à bertelles

nuagent dans les averses

de la plaine des Tamarins

 

Quelques tombes marronnes

embrouillent le passé

et mentent

 

ni plus ni moins

que les contes des hommes

 

ni plus ni moins

que ces silences drus

qui plaquent les remparts

 

Du battant des lames

au sommet des montagnes

il y a de rudes pentes

branles et lianes

bons dieux broussaille

qu’en trois siècles de force

les gens de ce pays

n’ont pu gravir encore

 

Le ciel reste bleu nuit

Son approche vertige

 

Terre craquée

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