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12 décembre 2008 5 12 /12 /décembre /2008 02:54

Mercredi dernier, j'accompagnais des secondes au Salon de la littérature jeunesse au Port. Khuistres et Imbudeumêmes de se gausser, surtout ceux qui n'ont pas d'élèves, ni surtout d'élèves-en-difficulté (la gôchcaviar eût parlé d' « élèves intellectuellement défavorisés »). Pourtant, la France de demain, et même la France des DOM-TOM, a su échanger avec une auteure sympa, détendue, attentive, capable de s'exposer autrement que sur la Une de VSD, de se dire, de répondre patiemment aux questions (préparées) des poupons, de faire entrevoir la mise de celles/ceux qui mettent leur vie en jeu sur le tapis vert de la publication et qui choisissent l'écriture. En tout cas, les poupons ont rencontré une écrivain à qui ils ont demandé si ça posait des problèmes de glisser des phrases créoles dans ses romans. Réponse : Non. Frappant : la narratrice a 11 ans. Comme dans What Maisie knew de Henry James. Comme si on savait déjà tout à cet âge (intuitivement) et qu'ensuite on radote. Possible. Et alors, cette littérature qu’on dit jeunesse est parfois littérature tout court.


Résumé de l'éditeur :

Sensitive, ce sont les lettres qu'une petite Mauricienne de 11 ans adresse au Bondié. Mais les écrit-elle vraiment ? Peu importe, puisqu'elles lui permettent de parler, avec ses mots à elle, de son institutrice, de ses amis Ton Faël et Nadège, des ouvrières de l'usine qui va fermer. De sa mère, de l'amour/haine qui les lie. Et, pesant sur sa vie, comme une ombre à peine visible, de son beau-père.

Shenaz Patel nous plonge dans le conflit insoluble qui déchire cette petite fille, partagée entre son appétit de vivre et sa révolte devant l'injustice – celle qui lui est faite comme celle qui frappe les autres.

 

Voici l'incipit de Sensitive (L'Olivier, 2003)

 

Hier je suis morte.

Enfin, je croyais. J'ai cru.

C'est étrange.

De penser qu'une chose comme ça puisse arriver et qu'on ne disparaisse pas après. Qu'on continue à rester debout, à avancer un pas puis l'autre, à faire comme ci, comme ça, à jouer. Comme quelqu'un qui est encore entier quoi. Comme un enfant ordinaire. Alors qu'à l'intérieur tu te sens comme un grand tas de confettis.

Remarque tu me diras, je ne sais pas comment se sent un tas de confettis. Peut-être qu'il est joyeux, parce que c'est joyeux, parce que c'est joli, et gai, un tas de confettis qu'on éparpille.

Du moins c'est ce qu'on croit.

Mais au fond on n'en sait rien.

Peut-être que les confettis ne sont pas si contents que ça d'être lancés en l'air, d'être séparés et de retomber, seuls, fanés, sur des planchers parcourus par de grosses chaussures qui menacent à chaque instant de les écraser, ou dans des cheveux gras que des doigts et ongles sales viennent grattouiller. D'ailleurs, tu as vu à quel point ils retombent lentement, en planant, comme s'ils voulaient ralentir leur chute, se retenir encore un peu, un moment.

Tout compte fait, je crois que ce n'est pas si formidable que ça une vie de confettis.

Alors je me sens comme un tas de confettis.

Je me demande si Lui, il sait quel effet ça fait. Un jour, c'est sûr, je lui montrerai. Avec un pétard canon que je demanderai à Mam de m'acheter pour Noël, un gros canon rouge, je l'exploserai en quatre mille morceaux.

Ou dix mille.

Ou mille millions.

Tu imagines, des petits bouts de Lui, éparpillés partout, avec des éclats de papier rouge, collés sur les murs, au plafond, par terre, bravo, bravo, applaudissez notre nouvelle décoratrice, mam'zelle pétomane.

J'ai lu ce mot quelque part et il m'a plu dès que je l'ai prononcé, il sonne vraiment bien sur les lèvres, contre les dents. Mais quand je suis allé voir dans le dictionnaire à l'école, j'ai compris que ce n'était pas du tout ce que je voulais dire. Faudra que je trouve autre chose, quelque chose d'un peu moins, enfin un peu plus distingué quand même. C'est pas la peine si c'est pour qu'on me chicane.

Mais pour tout ça, il faudra que j'espère encore.

Il paraît que je suis trop petite.

Alors, en attendant, je voulais juste te dire que je suis si contente de t'avoir créé.

Oui je sais, on dit que c'est l'inverse. Que c'est Dieu qui crée les hommes. Mais bon...

On dit beaucoup de choses.

En ce moment, on n'arrête pas de répéter qu'il faut prendre en compte les enfants parce qu'ils sont les adultes de demain. J'aimerais que quelqu'un dise qu'on est les enfants d'aujourd'hui. Mais on a tellement de projets pour nous.

C'est sûr, la Miss n'aimerait pas que je dise ça. Elle répète que je dois laisser mes extravagances et mes expressions « baroques » à la porte de l'école. Comme si on pouvait avoir envie de confier quoi que ce soit à cette vilaine porte, avec sa peinture grise pelée et couverte de gale. Moi, je serais bien contente si j'arrivais à l'abattre, ou juste à la garder un peu ouverte.

Mais ici on ne vient pas pour être content, on vient pour apprendre.


Extrait (p103 à 109) lu par l'auteure :

http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/patel_sensitive.html

 

En 2005, Shenaz Patel a fait paraître Le Silence des Chagos (sur le déracinement).










http://www.lehman.edu/ile.en.ile/paroles/patel.html

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