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18 février 2009 3 18 /02 /février /2009 13:46
L'humour noir est, comme chacun sait, la politesse du désespoir.  Pourquoi ne pas vous faire profiter du petit corpus utilisé hier en classe de seconde pour étudier le comique ? Il s'agit de dépêches authentiques de dernière minute reçues au journal Le Matin. Fénéon tirait parti de toutes les ressources de la rhétorique, du rythme et de la prosodie pour que le contenu référentiel passe au second plan. A l'époque, beaucoup d'écrivains raillaient le journalisme tout en le pratiquant et en cherchant leur inspiration dans les faits-divers. En mettant en évidence l'importance de la forme du message et finalement le pouvoir même des médias, Les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon, un siècle après, n'ont pas pris une ride.
J'ai utilisé l'édition du Mercure de France de 2001, collection Le petit Mercure

Nouvelles en 3 lignes (1906) Félix Fénéon

 

Le feu, 126, boulevard Voltaire. Un caporal fut blessé. Deux lieutenants reçurent sur la tête, l’un une poutre, l’autre un pompier.


Lourds de bronzes, de vaisselle, de linge et de tapisseries, deux cambrioleurs ont été arrêtés, la nuit, à Bry-sur-Marne.


M. Abel Bonnard, de Villeneuve-Saint-Georges, qui jouait au billard, s'est crevé l'oeil gauche en tombant sur sa queue.


En se le grattant avec un revolver à détente trop douce, M. Ed. B... s'est enlevé le bout du nez au commissariat Vivienne.


Radieux : « J'aurais pu avoir plus ! » s'est écrié l'assassin Lebret, condamné, à Rouen, aux travaux forcés à perpétuité. (Dép. Part.)


Dans un café, rue Fontaine, Vautour, Lenoir et Atanis ont, à propos de leurs femmes absentes, échangé quelques balles.


Avec leurs enfants au sein, des femmes ont exposé au directeur des trams toulonnais la cause de ses ouvriers. Il résiste. (Dép. Part.)


Une façon de marabout qu'hébergeait un Arabe des environs de Constantine, lui a emporté sa cassette et sa fille. (Dép. Part.)


Au Brabant (Vosges), M. Anet-Chevrier, 42 ans, et sa femme, 39 ans, ont désormais dix-neuf enfants (Dép. Part.)


Le Dunkerquois Scheid a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère : le coup porta. (Havas)


Mme Vivant, d'Argenteuil, avait compté sans le zèle du patron de lavoir Meheu. Il retira de la Seine cette lavandière désespérée.


A 5 heues du matin, M. P. Bouget fut abordé par deux hommes, rue Fondary. L'un lui creva l'oeil droit, l'autre l'oeil gauche. A Necker.


Une Européenne de Tunisie a été enlevée, à Medjez, par deux Arabes paillards. Elle put fuir, encore intacte, mais déjà demi-nue. (Dép. Part.)


Catherine Rosello, de Toulon, mère de quatre enfants, voulut éviter un train de marchandises. Un train de voyageurs l'écrasa. (Dép. Part.)


Plage Saint-Anne (Finistère), deux baigneurs se noyaient. Un baigneur s'élança. De sorte que M. Etienne dut sauver trois personnes. (Dép. Part.)


Un bijoutier en faux du 3è arrondissement (nom inconnu) et sa femme pêchaient en bateau, à Mézy. Elle tomba. Il plongea. Disparus.


On couronnait les écoliers de Niort. Le lustre tomba, et les lauriers de trois d'entre eux se teignirent d'un peu de sang. (Dép. Part.)


A Marseille, le Napolitain Sosio Merello a tué sa femme : elle ne voulait pas faire commerce de ses agréments. (Havas)


C'est au cochonnet que l'apoplexie a terrassé M. André, 75 ans, de Levallois. Sa boule roulait encore qu'il n'était déjà plus.


Mondier, 75 bis, rue des Martyrs, lisait au lit. Il mit le feu aux draps, et c'est à Lariboisière qu'il est maintenant couché.


Rattrapé par un tramway qui venait de le lancer à dix mètres, l'herboriste Jean Désille, de Vannes, a été coupé en deux.

 Le professeur de natation Renard, dont les élèves tritonnaient en Marne, à Charenton, s'est mis à l'eau lui-même : il s'est noyé.
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