Cinq mois de crise et de chaos dans la Grande-Ile
CLICANOO.COM | Publié le 7 juin 2009
Entre un Ravalomanana en exil en Afrique du Sud qui veut rentrer et un Andry Rajoelina à la tête d'une Autorité de transition non reconnue par la communauté internationale, la situation reste confuse à Madagascar. L'issue de la crise reste incertaine. Rappel des faits.
Prenons comme point de départ de la crise, le 26 janvier baptisé "black monday". Une fumée noire couvrait le ciel de Tana, à feu et à sang, ce lundi-là, lorsque la manifestation des TGV a dégénéré avec l'incendie des stations de la télévision et de la radio nationales ainsi que la chaîne MBS de Ravalomanana. Les jours suivants, les pillages se sont généralisés dans tout le pays. En plus des dépôts de la société Tiko, des centres commerciaux et des hôtels ont été systématiquement les cibles des bandes organisées. Au moins 62 morts en deux jours sur tout Madagascar, dont la plupart sont des pillards écrasés par des piles de marchandises ou prisonniers des flammes dans des magasins incendiés.
Mutinerie au Capsat
Andry Rajoelina s'autoproclame Président d'une Haute Autorité de la Transition (HAT) le 31 janvier et nomme Monja Roindefo Premier ministre. Le samedi d'après, la marche de 20 000 manifestants envoyés au palais d'Ambohitsorohitra se terminera tragiquement par la mort de 27 personnes dont un journaliste et 177 blessés : la garde présidentielle tire sur la foule ayant franchi la "zone rouge" interdite. Les semaines suivantes, les rassemblements sur la place du 13 mai s'essoufflent : le pic de 200 000 personnes enregistré le 26 janvier ne sera plus jamais atteint et les opérations ville morte et autre appel à la grève générale sont peu suivis. Avec l'arrivée des matériels antiémeute de la SADC, les forces de l'ordre sont plus efficaces pour maîtriser les émeutes et autres pillages. Début mars, Andry est menacé d'arrestation et trouve refuge à la résidence de l'ambassadeur de France.
Tout va très vite
Renversement de situation le 8 mars avec la mutinerie au camp du Capsat. Tout va aller très vite : le 12 mars, le chef des mutins est nommé Chef d'État-major de l'Armée par ses pairs. Totalement isolé, Ravalomanana ne peut plus sortir du palais d'Iavoloha où ses partisans sont venus le "protéger" à l'entrée du palais. Le 14 mars, Andry TGV réapparaît à nouveau en public, entouré des militaires du Capsat à qui il ordonne d'arrêter Marc Ravalomanana. À Iavoloha, des militaires ont coupé l'électricité aux alentours du palais où 4 soldats auraient réussi à pénétrer. Dans la nuit du 16 mars, prise sans heurt du palais d'Ambohitsorohitra par les éléments du Capsat qui ont forcé le portail avec un véhicule blindé.
Bal populaire
Et le 17 mars, Ravalomanana annonce qu'il transmet le pouvoir à un Directoire Militaire confié au Vice-Amiral Ramaroson Rarison Hyppolite le plus haut gradé de l'Armée entouré de 4 autres généraux. Ces derniers sont arrêtés par les éléments armés du Capsat qui ne veulent qu'une chose : que le pouvoir soit transmis à Andry Rajoelina. Ce sera chose faite dans la même journée, sous les yeux des diplomates étrangers, d'où la condamnation unanime de la communauté internationale évoquant un "coup d'État". Mais la Haute cour constitutionnelle prend acte. Le 21 mars, malgré la pluie de condamnations quasi unanimes de la communauté internationale, Andry TGV prête serment au stade de Mahamasina et organise un bal populaire. Le jeune homme offre la grâce présidentielle aux détenus et aux exilés politiques, dissout l'Assemblée nationale et le Sénat, forme la HAT composée d'une quarantaine de membres.
Dossiers sales
Ses ministres s'installent et travaillent avec comme première mission, le déballage des "dossiers sales" du régime Ravalomanana. La série "d'ampamoaka" n'a pas fait trop de vague auprès de la population de plus en plus inquiète. Car sur le terrain, le Capsat devenu un véritable bras armé du nouveau régime Rajoelina sème la terreur : le film de l'arrestation de Manandafy Rakotonirina Premier ministre de Ravalomanana, un vieillard de 70 ans malmené comme un vulgaire brigand le 29 avril au Carlton, a fait le tour du monde sur Dailymotion (taper Rajoelinandry). Il en est de même pour la répression contre les manifestants dits "légalistes" ainsi que de la photo de la tête éclatée d'une femme abattue par le Capsat à Ambohijatovo et bien d'autres scènes de violence perpétrées par les militaires sur de simples passants, d'une manière totalement arbitraire.
Détournement d'avion
Des noms comme "Commandant Charles" du Capsat ou "Alain Ramaroson", responsable de la Sécurité de la HAT dirigeant une véritable milice sont souvent cités dans les attaques, les perquisitions et les arrestations musclées et autres exactions qui nuisent gravement à l'image de la HAT, sans parler des... ordures qui s'amoncellent dans la capitale Antananarivo depuis des mois jusqu'à maintenant. Parallèlement, Andry Rajoelina est en quête de reconnaissance internationale, en commençant par l'Afrique. Après sa rencontre avec le Libyen Khaddaffi président en exercice de l'Union africaine, il a été reçu par le Sénégalais Abdoulaye Wade, à la suite de l'épisode du détournement à Dakar d'un avion commercial à destination de Paris le 29 mai dernier. L'information a fait la Une de la presse française relatant les témoignages des passagers en colère en raison des 10 heures de retard du vol. En revanche, les journalistes malgaches ayant fait partie du voyage n'ont relaté l'incident que plusieurs jours après leur retour.
Peine capitale
Dernier "faits divers" en date : la condamnation de Ravalomanana à 4 ans de prison ferme et 70 millions de dollars d'amende annoncée en grande pompe par... une ministre de la HAT. Quelques jours auparavant, son PM Monja Roindefo a déjà "prononcé" la peine capitale pour le Président en exil quand celui-ci a annoncé son retour et l'arrivée de "pacificateurs" à Madagascar. Tous les moyens semblent utilisés par le nouveau régime pour éliminer Ravalomanana de la future course à la présidentielle. Ou pour l'éliminer, tout court. Mais l'unique façon de connaître la position sincère des 18 millions de Malgaches, n'est-ce pas de demander son avis au peuple par la voie des urnes, à travers une élection libre et transparente.
Dossier réalisé par Pana Reeve
COMMENTAIRE
Ratsiraka sort de l'ombre
L'ancien président Didier Ratsiraka est sorti de son silence pour dire "qu'il était derrière Andry Rajoelina au début de la crise", mais qu'il condamne "tout coup d'État, toute auto-proclamation et tout Diktat, d'où qu'ils viennent". Une déclaration surprenante de la part de l'Amiral Rouge, qui a "profité du crime" en 1975, au lendemain de l'assassinat du Colonel Ratsimandrava. Ratsiraka auto-proclamé leader du Communisme révolutionnaire malgache est aussi reconnu unanimement comme étant LE principal responsable de la misère économique chronique, fruit des 3 décennies de dictature (1975 à 2002) inspirée de feu Camarade Kim Il Sung de la Corée du Nord. On sait par ailleurs que Ratsiraka, 72 ans, ne semble plus vouloir revenir au pouvoir. Pierrot Rajaonarivelo a repris le flambeau. Mais on ne sait jamais. Madagascar est le pays de tous les possibles. Du meilleur comme du pire.