“Turtle jumping” à Juan de Nova
CLICANOO.COM | Publié le 2 août 2009
http://www.clicanoo.com/index.php?id_article=217313&page=article
éparses. Non, ce n’est pas le dernier sport extrême à la mode. Si attraper les tortues dans le lagon de Juan de Nova a tout d’une discipline olympique en puissance, c’est avant tout un travail essentiel au suivi et à l’étude de cette espèce protégée. Vertes ou imbriquées, les tortues des Éparses recèlent encore nombre de mystères que des scientifiques réunionnais tentent de percer.
La Réunion et les tortues, c’est une longue histoire. Depuis la création de la ferme Corail à Saint-Leu en 1975 jusqu’à sa toute récente transformation en observatoire des tortues marines sous le nom de Kelonia, l’île est devenue une base de recherches à la pointe en matière de connaissance de ces reptiles étonnants. À la fois proches et lointaines, les îles Éparses en sont le champ d’étude grandeur nature pour connaître le mode de vie et l’état de santé des deux espèces typiques du sud-ouest de l’océan Indien, la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata) et la tortue verte (Chelonia mydas). Pour cette dernière espèce, Europa est d’ailleurs un des premiers sites au monde de reproduction avec 6 000 à 11 000 tortues en ponte par an. L’expédition Éparses 2009 ne pouvaient donc se faire sans deux des spécialistes péi de la tortue, Stéphane Ciccione, le directeur de Kelonia, et Jérôme Bourjea, responsable du programme tortue à l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer), une bonne douzaine de voyages dans les Éparses à eux deux. Leur mission : l’étude des habitats de développement des tortues marines du sud ouest de l’océan Indien, la caractérisation et l’abondance de ces espèces. En clair, une collecte de données sur le terrain qui serviront notamment à enrichir la base régionale TORSOOI (TORtues du Sud Ouest de l’Océan Indien) qui a vocation à être élargie aux autres pays de la zone (Seychelles, Comores, Madagascar...).
Les tortues vertes en hausse
“Depuis 1983, les études ont permis de comprendre en grande partie le cycle reproductif de la tortue, l’influence des changement climatiques sur la détermination du sexe des juvéniles, ou de vérifier le phénomène de homing, c’est à dire la faculté des tortues à retourner pondre sur la plage qui les a vues naître. Mais c’est un animal très complexe, dont on mesure encore mal les rythmes de croissance, très variables selon les tortues. Leur maturité sexuelle est également très variable, pouvant aller de 10 à 50 ans selon l’individu”, explique Jérôme Bourjea. Établir une base de données la plus riche possible à l’échelle de la zone permettrait donc à terme de dégager des tendances plus précises et des indications précieuses sur l’état de santé de l’espèce, protégée depuis les années 80 par la convention de Washington. Aussi, avec le concours de la Région Réunion, les deux scientifiques ont tenté sur Europa et Juan de Nova de capturer un maximum de tortues des deux espèces. Et pour ce faire, la technique la plus efficace reste encore celle, venue d’Australie, du “turtle jumping.” À bord d’un zodiac, les “chasseurs” repèrent les jeunes tortues qui trouve dans les lagons à la fois le gite et le couvert, a savoir, la protection contre les prédateurs et de la nourriture en abondance pour grandir et atteindre la maturité sexuelle. Une poursuite s’engage alors avec le bateau, sollicitant les qualités du pilote, le temps de fatiguer un peu ces excellentes nageuses. Il faut ensuite toute l’habileté du plongeur pour sauter sur la tortue et immobiliser ses musculeuses nageoires avant. Embarquée, la tortue est ensuite ramenée sur la plage où l’on procède à toute une batterie de manipulations avant de la remettre à la mer : mesure de la carapace, pesée, baguage et photo d’identification. Un prélèvement de derme est également effectué à des fins d’analyse génétique. “C’est par ce biais qu’on a pu, à force de comparaison, constater que les tortues vertes du sud du canal du Mozambique ont des caractéristiques communes avec celles de l’Atlantique. Ce qui signifie que les tortues ont réussi à passer la barrière naturelle du cap de Bonne Espérance, réputée infranchissable pour cette espèce !”, rappelle Jérôme Bourjea. “Ces mélanges génétiques sont également facteurs d’une plus grande robustesse de l’espèce.” La bonne nouvelle en plus, c’est que la population de tortues vertes des îles Eparses est globalement en croissance de 1 à 3% par an depuis 20 ans. Même si à l’échelle de la planète, cette espèce est encore menacée, les îles du sud ouest de l’océan Indien apportent une note d’espoir pour sa préservation. Tout aussi important, le baguage a pour objectif de suivre la tortue en différentes étapes de sa vie. “Mais le taux de recapture est assez faible”, précise Stéphane Ciccione. “Comme nos missions dans les Éparses sont très espacées dans le temps, les quelques tortues qui sont recapturées sont celles qui ont le moins grandi et sont donc restées le plus longtemps dans le lagon. Celles dont la croissance a été plus importante et rapide ont déjà gagné d’autres zones d’alimentations plus riche en herbiers. Il faudra peut-être des dizaines d’années avant de voir une jeune tortue baguée venir pondre ensuite sur une plage, ce qui suppose aussi une surveillance constante et un suivi sur du très long terme.” Dans les Éparses, faute d’observateur permanent, ce sont les gendarmes, ou les agents météo sur Tromelin, qui mettent la main à la patte. Chaque matin, ces résidents temporaires comptent et notent les traces de tortues venues pondre sur la plage. Les captures en revanche, ne sont réalisées que par ces scientifiques dont la venue est plus rare. D’où l’importance des missions telles que celles qui viennent de s’achever. Sur Europa, Jérôme et Stéphane auront bagué 38 tortues vertes et 15 tortues imbriquées. Sur Juan, 37 vertes et 17 imbriquées. Sur plus d’une centaine de tortues ainsi capturées, six seulement avaient fait l’objet d’un précédent baguage. Outre ce travail précieux, les deux spécialistes auront goûté au plaisir de cotoyer les autres scientifiques de la mission du Marion-Dufresne. “Ce voyage nous a permis d’échanger avec des confrères d’autres disciplines sur des thèmes qui nous touchent. Les géomorphologues, par exemple, nous ont donné des idées sur des mouvements terrestres qui peuvent influencer le comportement de reproduction ou d’alimentation des populations de tortues”, se félicite Stéphane Ciccione. Espèce apparue il y a une centaine de millions d’années, la tortue est sans doute un témoin privilégié de l’évolution de la planète, qu’elle fréquente depuis bien plus longtemps que nous humains.
De notre envoyé spécial Sébastien Gignoux
Juan de Nova
Située dans la partie étranglée du canal du Mozambique, à 600 km au sud de Mayotte, 280 km des côtes d’Afrique orientale et 175 km de Maintirano à l’est de Madagascar.
Zone économique exclusive (ZEE) : 61 050 km2
Ile en forme de croissant de 6 km de long au milieu d’un vaste récif corallien.
Superficie : 5 km2. Point culminant : 12 m.
Mission Eparses 2009
Le 14 mai dernier, le navire logistique des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le Marion-Dufresne, rentrait d’une rotation exceptionnelle dans quatre des cinq îles qui forment le district des Éparses. À son bord, les techniciens en charge de l’évacuation des déchets accumulés lors des rares épisodes de peuplement de ces îles aujourd’hui classées réserves naturelles. Pour la première fois dans les Éparses, cette mission a également pris une tournure d’expédition scientifique, avec pas moins de 17 programmes et une quarantaine de chercheurs représentés à bord. Trente éco-touristes ont enfin eu le privilège de participer à ce voyage unique. Cette semaine, poursuite de notre escale à Juan de Nova.
Dimanche prochain, opération nettoyage aux Glorieuses.
Des étudiants se jettent à l’eau
Ils s’appellent Julia, Anne, David et Kevin. Étudiants en deuxième année du master BEST (Biodiversité des écosystèmes tropicaux) de l’Université de la Réunion, ils sont les premiers acteurs du concept inédit d’ “Université flottante”. Un programme consistant à faire embarquer ces étudiants sur le Marion-Dufresne pour participer activement aux recherches des scientifiques dont les programmes ont été sélectionnés pour la mission, et profiter d’un véritable “laboratoire de travaux pratiques à ciel ouvert.” Une approche concrète du métier de chercheur ou d’enseignant auxquels ils se destinent, et une aide précieuse pour des scientifiques ne disposant que de peu de temps sur les îles Éparses pour réaliser leurs manipulations, parfois fastidieuses : comptage d’oiseaux, baguages de tortues, prélèvements de coraux ou d’invertébrés… Autant d’expériences pour lesquelles ces jeunes gens se sont portés volontaires et dont ils se sont acquittés avec application et bonne humeur.
Des navigatrices qui ne perdent pas le nord
Comment une tortue verte, 20 ans après sa naissance et des périgrinations de plusieurs milliers de kilomètres dans l’océan Indien pour se nourrir, parvient-elle à retrouver la plage qui l’a vu naître pour, à son tour, donner naissance à plusieurs dizaines de bébés tortues ? C’est le système de navigation exceptionnel de ces grandes migratrices que tente de décortiquer la composante tortue du programme SWIOFP (South West Indian Ocean Fishery Project) mis en route l’année dernière. Une centaine de tortues marines en phase de ponte et d’alimentation sur le secteur du canal du Mozambique vont être équipées de balises Argos afin d’étudier leurs trajets, et les phases de “homing” ou “post-homing” (retour sur la plage de naissance pour la ponte, puis long déplacement pour l’alimentation). “Il est communément admis que les tortues utilisent les champs magnétiques pour se diriger, mais pas seulement”, explique Jérôme Bourjea d’Ifremer. Les scientifiques du CNRS ont en effet pu constater, sur des tortues suivies par satellite, qu’en perturbant les champs magnétiques en période de homing, elles étaient dans leur quasi totalité capables néanmoins de retrouver leur chemin, même au prix de quelques petits détours, en shuntant leur système de navigation. “Il est très probable que les tortues utilisent un sens de l’odorat très développé. Ce qui expliquerait que dans la région elles se dirigent toujours vers des côtes sous le vent, et migrent systématiquement vers l’est en phase de post-homing. Dans le même ordre d’idée, une activité humaine trop forte sur un lieu induirait un changement de ces odeurs et donc une baisse des pontes en cet endroit”, poursuit le scientifique. Quid alors de ces tortues “colonisatrices”, c’est-à-dire celles qui font exception à la règle en allant pondre sur des plages où elles ne sont pas nées. Une perturbation, un épisode cyclonique ou un bouleversement de la gamme des odeurs pourraient expliquer ces déménagements. Mais ce ne sont que quelques-unes des hypothèses évoquées au sujet de ces reptiles jamais avares de surprises..