Les super nettoyeurs du canal du Mozambique
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CLICANOO.COM | Publié le 9 août 2009
éparses. Il aura fallu deux ans de travail et une mission en mer d’un mois aux services techniques des Taaf pour venir à bout des 600 tonnes de déchets métalliques ou dangereux accumulés dans les Éparses depuis près de 50 ans. Un travail de titan, qui n’aurait pu se faire sans l’implication totale des contractuels réunionnais embauchés pour l’occasion.
On a beau être classée réserve naturelle, 50 ans d’occupation humaine, même minime, mais quasiment ininterrompue, ça laisse des traces. C’est en tout cas ce qu’on pu constater les services techniques et responsables environnement des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf) lorsqu’ils récupèrent en 2007 dans leur giron ce district des îles Éparses. Dans des décharges à ciel ouvert, une par île, on trouve pêle-mêle des matériaux usagés ou mis au rencart par les météorologues et détachements militaires qui les occcupent, mais aussi des restes “historiques” datant de l’exploitation par la SOFIM du phosphate des îles de Juan de Nova et Glorieuses. Beaucoup de ferrailles ( plaques PSP, structures d’habitations, 95 %), mais aussi une partie de déchets dangereux (bitûmes des pistes d’atterrissage, acides de batteries, acide-plomb, 5 %). 600 tonnes au total. De quoi remplir une centaine de transalls, ce qui est bien sûr hors de question en raison notamment du coût, à 80 000 euros un vol allez-retour au départ de la Réunion. “Depuis 99-2000, il y a eu des études sur cette problématique des déchets, mais en 2007, c’est la logistique des Taaf qui a repris le dossier en main : il a fallu réfléchir à une méthode, créer certains matériels et mobiliser des équipes”, rappelle Thierry Sabathier, directeur adjoint des services techniques. L’évacuation des déchets ne pourra se faire que par mer, avec chargement par hélicoptère. Ce qui suppose de diviser les charges en fardeaux transportables en “sling” par un Écureuil d’Hélilagon. Des “paquets” entre 650 et 700 kg, qui doivent occuper la surface d’une ou deux palettes afin d’être gerbables dans les cales d’un navire. Un premier test est effectué sur Europa courant 2007. Les Taaf profitent d’une rotation du Marion Dufresne vers les îles subantarctiques pour faire le détour par Europa. En une journée et demi d’escale, 300 m3 de déchets sont déjà embarqués en soute. “Pour nous, c’était positif. Il a alors été décidé d’étendre la manœuvre sur toutes les îles après avoir convaincu les Taaf de financer l’opération”, poursuit Thierry Sabathier. Décision est prise de supprimer l’une des quatre rotations du Marion Dufresne vers les îles subantarctiques pour assurer la toute première rotation des Éparses. Mais à travail particulier, main d’œuvre particulière. Il faut des gars capables de travailler vite, dans des conditions difficiles et un certain isolement. Les Taaf font donc appel aux contractuels qu’ils embauchent régulièrement sur les missions d’entretien et de logistique dans les îles Kerguelen, Crozet, Saint-Paul et Amsterdam. Des travailleurs réunionnais polyvalents et habitués des îles pratiquement désertes. “Il nous fallait des hommes autonomes, sachant travailler en équipe et surtout qui s’entendent bien et supportent de rester plusieurs semaines loin de chez eux”, souligne le directeur adjoint. Hormis sur Glorieuses, où les militaires vont mettre la main à la pâte, huit hommes vont se relayer sur des séjours de deux mois en moyenne pendant pratiquement un an à compter de 2008. Il faut débiter, conditionner, peser, cercler... “Du travail de pro. Ils ont fait un sacré boulot dans des conditions très dures : grosses châleurs, pas de confort le soir après la journée de travail, éloignement...”, salue encore Thierry Sabathier. La tournée du Marion-Dufresne dans les Éparses constituera le point d’orgue de cette vaste opération de nettoyage. Un Écureuil de la compagnie Hélilagon et deux pilotes, en contrat avec les Taaf, vont se charger des transferts entre la terre et le navire. Avec le renfort des deux militaires détachés au service logistique des Taaf, les charges sont accrochées sous l’hélicoptère. 230 fardeaux à Europa, 230 à Juan de Nova, 350 aux Glorieuses et 30 à Tromelin. La ronde de l’hélicoptère est incessante, le temps qui passe faisant tinter les cloches du tiroir-caisse. À 45 euros la minute de vol hors forfait, il n’y a pas une seconde à perdre. “Le plus difficile était sans doute à Juan de Nova, avec trois points d’évacuation différents, donc trois équipes et pas de pause”, note le responsable. À Glorieuses, le record de rotations sera battu avec 120 slings accrochés dans une journée. Mais au final, les objectifs en temps et en quantité auront été remplis comme prévus. Resteront encore à évacuer des futs de bitûme et de métal de l’ancienne piste d’atterrissage d’Europa, ainsi que des cuves à eau de Glorieuses. À Juan de Nova, on compte aussi encore de nombreux restes de l’époque de l’exploitation Patureau, dont il va falloir déterminer si ils ont une valeur patrimoniale ou s’ils sont à ranger au niveau des déchets. Coût total de l’opération autofinancée par les Taaf : 1,3 millions d’euros. Un gros morceau, quand le budget annuel alloué au fonctionnement de cette préfecture atypique n’est que de 24 millions d’euros. Et encore, l’implication sans borne des travailleurs ne se chiffre pas. “On a fait un gros boulot, avec pas beaucoup de moyen”, se félicite Thierry Sabathier. À l’arrivée à la Réunion, les déchets regagnent la filière habituelle. Pour le métal, un opérateur le récupère gratuitement pour envoi vers l’Inde. Un moindre mal, quand, avant la crise, les Taaf pouvait espérer faire un peu d’argent sur le cours du métal. Le reste des déchets dangeureux, qui ne peuvent être traités à la Réunion, hormis l’huile de vidange, suivront le chemin du retraitement en métropole. Là encore, cela a un coût. Exemple : 100 euros la tonne de batterries usagées. Une telle “remise à zéro” des déchets, bien que nécessaire, ne pourra être rééditée très souvent. Les Taaf, “petite institution à taille humaine”, n’en n’ont pas la vocation. Et Thierry Sabathier de conclure : “nous avons joué les super-éboueurs du canal du Mozambique. Mais maintenant, il faut que nous soyons exemplaire sur la gestion des déchets dans les îles Éparses.”
De notre envoyé spécial Sébastien Gignoux
Le 14 mai dernier, le navire logistique des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le Marion-Dufresne, rentrait d’une rotation exceptionnelle dans quatre des cinq îles qui forment le district des Éparses. À son bord, les techniciens en charge de l’évacuation des déchets accumulés lors des rares épisodes de peuplement de ces îles aujourd’hui classées réserves naturelles. Pour la première fois dans les Éparses, cette mission a également pris une tournure d’expédition scientifique, avec pas moins de 17 programmes et une quarantaine de chercheurs représentés à bord. Trente éco-touristes ont enfin eu le privilège de participer à ce voyage unique. Quatrième reportage, aux Glorieuses.
Glorieuses
Archipel situé à l’entrée nord du canal du Mozambique, à 253 km au nord-est de Mayotte, 222 km au nord-ouest de Nosy Be et 220 km du cap d’Ambre. L’ensemble est constitué de Grande
Glorieuse, l’île du Lys, l’île aux Crabes et Roches Vertes.
Zone économique exclusive (ZEE) : 48 350 km2 comprenant le banc coralien de Geyser.
Surface : 7 km2 constitué d’un banc de sable et d’une plateforme coralienne de17 km de long.
Grande Glorieuse est la plus importante des îles (2,3 km de long sur 1,7 km de large). Point culminant : 14 m. À 10 km au nord-est se trouve l’île du Lys (600 m de diamètre)
Un peu d’histoire…
Probable découverte dès les navigations vers les Indes au début du XVIe s. En 1879, Hippolyte Calteau accoste et prend possession, baptisant l’archipel en référence à la révolution de
1830.
Avec l’autorisation du ministre de s’y installer “à ses risques et périls”, Calteaux implante une cocoteraie en 1885, tandis que les Anglais menacent d’annexer l’île.
Réelle prise de possession par la France en 1892 par le commandant du “Primauguet” qui plante le drapeau, puis rattachement à la colonie de Mayotte en 1897. Calteaux exploite le coprah de
la cocoteraie et le guano de l’île du Lys jusqu’en 1907.
Début de la consession de la SOFIM (Société française des îles malgaches) dirigée par M. Lanier. 17 habitants seychellois exploitent quelques 6 000 cocotiers et une plantation de maïs.
On compte environ 200 chèvres sur l’île du Lys en 1921.
De 1939 à 1945, l’archipel est abandonné. Nouvelle concession de la SOFIM en 1945, confiée au Seychellois Jules Sauzier. Son frère Gaston prend la suite en 1952. On comtpe alors 15 000
pieds de coco. Fin de l’exploitation en 1958.
1955, première station météo au nord de Grande Glorieuse, déplacée dans le sud dix ans plus tard.
Depuis 1973, un gendarme et 14 militaires du Détachement de la léégion étrangère de Mayotte assurent la présence française sur l’île.
Les décharges vidées, et après ?
Depuis un an et demi, les Terres australes et antarctiques françaises (Taaf) tentent de rationnaliser le traitement des déchets sur les îles Éparses occupées par les détachements militaires ou, comme à Tromelin, par les météorologues. “Nous avons instauré une politique de traitement en continu”, explique le directeur adjoint des services techniques des Taaf. À chaque relève, un travail de sensibilisation est effectué auprès des détachements au départ. Désormais, les occupants des îles pratiquent le tri sélectif du verre, des cannettes métalliques, mais aussi des papiers, cartons et déchets alimentaires dans des fûts de plastique bleu. Chaque île a en outre été équipée d’un incinérateur pour détruire ces derniers types de déchets. Le reste, qui doit être soit recyclé soit mis en décharge est évacué progressivement, au rythme des relèves des détachements. Il faut à tout prix éviter l’accumulation et limiter les enfouissements sur place. Autre chantier sur lequel travaillent les services techniques et ceux de l’environnement : le traitement des eaux usées.
Le chantier “déchets dans les Éparses” en chiffres
Coût de l’opération : 1,3 millions d’euros
Plus de 1an et demi de travail. Conditionnement des déchets sur site : rapport de 40 hommes/mois
600 tonnes de déchets évacués, l’équivalent de 1300 m3
Environ 850 fardeaux de 650 à 700 kg, pour 1350 rotations hélicoptère. (230 Europa, 230 Juan de Nova, 350 Glorieuses, 30 Tromelin)
8 personnels en séjour à terre pour le conditionnement, 10 à bord du Marion Dufresne pour l’évacuation, plus l’équipage du bateau pour la mise en cale.