Pour une fois, 10 timbres seront vraiment les vôtres
CLICANOO.COM 20 septembre 2009
Vous avez trois semaines pour désigner les dix timbres qui formeront la première planche “La Réunion comme j’aime” éditée par La Poste. A partir de 300 photos initiales, un comité de sélection en a dégagé 38, que nous vous publierons pendant trois dimanches. Aujourd’hui, voici la première série de douze, représentant une partie des 24 thèmes définis. Pour voter rendez-vous sur www.timbres-reunion.re. Et pour mieux connaître l’étonnante vie des timbres, plongeons dans l’histoire en compagnie de Jean-Yves Vacher-Chicane, collectionneur et... timbré.
La grande saga des timbres réunionnais
1852 : deux premiers timbres en circulation à la Réunion : un 15 centimes et un 30 centimes de franc colonial. Valeur actuelle : “au minimum 15 000 euros pièces et même jusqu’à 45 000 ou 50 000 euros s’ils sont sur une lettre”, selon Jean-Yves Vacher-Chicane.
1852. Même si le service postal a été introduit en 1784 dans l’île (et le premier bureau de poste apparu en 1820 près du Barachois) c’est en 1852 que sont émis les deux premiers timbres à la Réunion : un “15 centimes” et un “30 centimes” de franc colonial. Les prix étaient différenciés selon que la lettre sortait de la commune ou de l’île. Exemple : pour aller de Saint-Benoît à Saint-Benoît, il en coûtait 15 centimes. De Saint-Benoît à Saint-André : 30 centimes. A l’extérieur de l’île : 30 centimes encore. Puis 10 centimes de plus pour chaque port de métropole (le fameux “décime de mer”). Ces deux premiers timbres imprimés à la Réunion serviront moins d’une dizaine d’années. En effet, ils se dégradent rapidement : soit il faut les épingler au courrier, soit mettre de la gomme arabique derrière pour les coller. Pas franchement pratique... De plus, il faudra quelques années pour que la population utilise systématiquement des timbres : jusqu’en 1858, ils préféraient souvent payer en liquide, “à l’ancienne”. A cette date, une autre série est éditée avec des timbres à 10 et 40 centimes.
1892. à Jusqu’à cette date, seuls les timbres coloniaux sont en usage dans l’ensemble des colonies françaises, qu’il s’agisse de l’Anan, de la Côte d’Ivoire ou, évidemment, de la Réunion. Ces timbres ont tous la même valeur faciale et le Trésor finit par se rendre compte d’un drôle de traffic : comme le franc colonial n’avait pas la même valeur partout, certains achetaient de gros stocks de timbres sur les marchés les moins chers pour les vendre sur les territoires plus chers. Pour mettre fin à cette pratique, à partir de 1892, tous les timbres portent la marque de leur colonie : dans un premier temps, la Réunion est désignée par un “R” puis par le mot “Réunion” écrit en travers du timbre.
1900. Les “quatre vieilles” colonies françaises (Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion) ont droit à des thèmes qui leur sont propres. Un honneur auquel les régions de métropole n’auront droit qu’en 1929. La première illustration de la Réunion est tout simplement une petite carte de l’île, puis viendront le Voile de la Mariée à Salazie, le Piton d’Anchaing, la rade de Saint-Paul, le Piton de la Fournaise... Tous ces timbres sont des oeuvres de graveurs métropolitains qui travaillaient à partir d’images rapportées de la Réunion. D’où, parfois, des représentations un rien décalées de la réalité ! La dernière série de ce type sortira en 1947.
1941 : la défense de l’empire colonial d’outre-mer est glorifiée.
Pendant la deuxième guerre mondiale, lorsque le gouverneur Capagorry arrive dans l’île, il fait surcharger tous les timbres réunionnais du tampon “France Libre” (en haut). Du coup, le CFLN, à Londres, pourtant dans la même mouvance, fait imprimer également des timbres “France Libre” (en bas), histoire de montrer au monde entier que les Français hostiles à l’Occupation contrôlent parfaitement la situation. Les timbres, c’est aussi de la politique.
1949 : tous les timbres sont frappés du sigle du franc CFA, qu’il s’agisse de la la Pointe du Raz, en Bretagne, ou d’une mosquée marocaine. Des images plutôt... exotiques. 1er janvier 1975. C’est la fin du CFA et l’entrée en vigueur du franc français. C’en est donc fini des timbres édités à la Réunion. Seuls les timbres de France métropolitaine ont cours. Certains, toutefois, portent des thèmes réunionnais, comme le bicentenaire de la naissance de Roland-Garros ou Mafate.
Dossier : David Chassagne
1 200 demandes de timbres par an
Phil@Poste, la fililale spécialement dédiée aux timbres possède une seule et unique unité de fabrication : à Boulazac, près de Périgueux, en Dordogne. Chaque année, La Poste reçoit plus de 1 200 demandes de timbres mais seules une centaine d’entre elles sont satisfaites, après sélection par une commission qui réunit des représentants de La Poste, du ministère de la Culture, des milieux philatéliques, du négoce, de la presse spécialisée et des créateurs de timbres. Le choix définitif se fixe par arrêté ministériel. Conçus par des artistes, les timbres-poste s’impriment selon différentes techniques : taille-douce, héliogravure ou offset. Ils sont mis en vente pendant une durée qui varie de six à douze mois. Retirées de la vente au guichet mais conservant leur pouvoir d’affranchissement, ces valeurs fiduciaires se trouvent ensuite chez les négociants en philatélie. Enfin, elles peuplent les albums des collectionneurs et ne sortent de leurs écrins qu’à l’occasion des expositions philatéliques.
Un objet vieux de 160 ans
C’est à un Anglais, sir Rowland Hill, que l’on attribue la création du timbre, tel qu’il existe aujourd’hui. Jusqu’alors, quelques essais de récepissés en “port payé” avaient été lancés en France en 1653 et en Sardaigne en 1819. Mais c’est sir Hill qui trouve comment unifier les tarifs et surtout les diminuer dans la distribution du courrier. Le Parlement anglais vote sa proposition de timbre-poste en 1840, que le Brésil adoptera en 1843, puis Genève (1844), les Etats-Unis (1846), la Belgique (1847), la Russie (1848) et enfin la France en 1849. Cette année-là, la loi abolit la progression des taxes selon 11 zones, établit une taxe unique, et autorise l’administration française des Postes “à vendre des timbres ou cachets dont l’apposition sur une lettre servira pour l’affranchissement”. Il faudra toutefois recourir à la pénalité de la double taxe des correspondances non affranchies pour faire admettre cette nouveauté par le public.
La philatélie en chiffres
60. C’est le nombre de nouveaux timbres émis par an, soit un par semaine en moyenne. 3,5 milliards. C’est le nombre de timbres vendus chaque année (parmi lesquels 2,9 milliards de Marianne et 600 millions de “beaux timbres”). 300 millions. C’est le nombre de Prêt-à-Poster utilisés chaque année, dont 70 % par les entreprises et 30 % par les particuliers. 2 millions. C’est le nombre de collectionneurs en France (le timbre-poste est le premier loisir de collection). Près d’un Français sur trois (29 %) achète, même occasionnellement, des beaux timbres. Le collectionneur a tendance à se rajeunir (47% des hommes collectionneurs ont moins de 40 ans) et à se féminiser (les femmes représentent 70 % des acheteurs de beaux timbres).
Quatre grandes familles de timbres
La Marianne. C’est le timbre d’usage courant, choisi par le Président de la République à chaque nouveau mandat. Le timbre commémoratif. Il rend un hommage de la nation aux personnalités françaises ou étrangères, commémore les grands événements et célèbre le patrimoine. Le timbre d’écriture. Il est édité le plus souvent sous forme de carnets de timbres autocollants. Véritable laboratoire technologique, ces timbres autorisent des expérimentations en termes de techniques d’impression, de formats, de lignes créatives, de thématiques. Le timbre personnalisé. MonTimbraMoi pour les particuliers et ID timbre pour les entreprises. C’est désormais la possibilité pour chacun de créer son propre timbre ayant valeur d’affranchissement, entièrement personnalisé avec un visuel au choix du client.
“Je suis timbré et je le revendique”
Pour un timbré, c’en est un. C’est lui-même qui le dit, dans un large sourire. Il faut dire que Jean-Yves Vacher-Chicane a passé toute sa vie, ou quasiment, à collectionner les timbres, depuis son enfance lyonnaise jusqu’à la présidence de l’Association philatélique de l’océan Indien (Apoi), qu’il occupe depuis un an. Il en est devenu membre dès son arrivée à la Réunion, en 1992. C’est d’ailleurs à partir de cette date qu’il a décidé de se consacrer aux timbres exclusivement réunionnais. Mais commençons par le commencement, lorsque le petit Jean-Yves découvre par hasard un embryon de collection entamé par son père. “Il ne m’en avait jamais parlé, il l’avait même oubliée”. L’enfant, du coup, fait son entrée dans un nouveau monde. “J’ai acheté le catalogue Thiaude et ce fut pour moi la révélation : ces milliers de timbres, avec des personnages, des lieux, des événements, c’était aussi bien qu’un dictionnaire. Alors par tous les moyens, j’ai essayé d’étoffer ma collection”. De temps en temps, avec papa, il se rendait au marché aux timbres de la célèbre place Belcour. “Pour un franc, ce qui était colossal à l’époque, on ramenait un énorme paquet que je mettais trois bons mois à trier et classer”. Ce faisant, Jean-Yves Vacher-Chicane acquiert une solide culture générale : “Le timbre est un incroyable vecteur de connaissances, sans doute le moins onéreux qui existe sur terre”. Son père, d’ailleurs, aimerait bien que fiston se tourne vers la prestigieuse école Centrale. Mais Jean-Yves, la passion chevillée au corps, fait un autre choix : ce sera les Arts et Métiers, “qui me laissaient le temps de m’occuper de ma collection”.
Tous les timbres réunionnais... sauf les deux premiers
La collection universelle étant impossible, le jeune homme se spécialise dans les timbres de France, qui compte quelque 6 000 séries différentes. Mais Jean-Yves Vacher-Chicane arrive à 15 000 avec le jeu des surcharges, des défauts de fabrication, des diverses épaisseurs ou variétés de papiers, et des tampons de bureaux de poste. Car “le timbre neuf est une oeuvre d’art, mais ce n’est qu’une oeuvre d’art. C’est un objet qui a une vie, qui raconte une histoire”, souligne le collectionneur. Marié à une Réunionnaise, Jean-Yves Vacher-Chicane, à son arrivée dans l’île, laisse de côté sa collection nationale pour se consacrer aux timbres réunionnais. Il y a de quoi faire : on compte 650 valeurs différentes, “mais cela représente entre 4 000 et 5 000 timbres” car là encore, l’homme est à l’affût des moindres défauts, des plus infimes détails qui différencient une pièce d’une autre. Inutile de dire qu’il les possède quasiment tous. Mais Jean-Yves Vacher-Chicane a toujours essayé de rester éloigné de l’énorme business que constituent le marché du timbre. “Dans ma jeunesse, j’ai obtenu des pièces offertes par des négociants à qui j’avais donné des coups de main pour leurs inventaires”. Le reste est affaire d’échanges, de recherches, parfois ardues, de demandes ici et là. Le passionné avoue avoir “une seule fois” dépensé 1 500 euros pour un timbre “et pour un timbre de la la Réunion, je n’ai jamais dépassé 150 euros”. On est loin, évidemment, des incroyables sommets que peuvent atteindre certaines pièces très rares. Le “K Skilling jaune” de Suède, par exemple, “doit se monnayer aux environs du million d’euros”. Il n’en existe, il est vrai, que “trois ou quatre dans le monde car ils sont issus d’une erreur d’impression, en 1850”. La pièce la plus chère de la collection de Jean-Yves Vacher-Chicane est un “1 franc vermillon de 1849”, mais ne comptez pas sur lui pour vous donner sa cotation actuelle. Mais il lui en manque deux, et non des moindres : les deux premiers édités à la Réunion, un “15 centimes” et un “30 centimes” de 1852. “Ils font partie des cent grandes raretés mondiales”, précise-t-il. Et leur valeur est bien supérieure aux moyens du philatéliste-pays : “au minimum 15 000 euros pièce et sans doute jusqu’à 50 000 euros s’ils se trouvent sur une lettre”.
Jean-Yves Vacher-Chicane, président de l’association philatélique de l’océan Indien : “Le timbre est un incroyable vecteur de connaissances, sans doute le moins onéreux qui existe sur terre”.
Des trésors de près de trois siècles
C’est un papier soigneusement plié. Une enveloppe jaunie mais en excellent état, qui date de... 1816. Un document exceptionnel que Jean-Yves Vacher-Chicane a fait revenir de métropole. “Dans cette lettre, un homme habitant à la Réunion demande à sa famille, à Bordeaux, que son frère vienne le rejoindre. La missive aura mis neuf mois pour arriver à destination. La famille lui répondra que le frère en question ne peut mettre les pieds dans l’île : étant ancien républicain et ancien bonapartiste, il serait immédiatement arrêté par la police de Louis XVIII”.
Après les timbres, Jean-Yves Vacher-Chicane s’est donc lancé dans une autre quête : celle des courriers du temps de la Poste maritime, partis de la Réunion et adressés à l’étranger. Il en a récupéré pour l’instant 300, “principalement des lettres commerciales mais aussi des échanges entre particuliers”. A cette époque, il était d’usage d’envoyer une lettre en trois exemplaires, “l’une qui passait par le Cap, une autre par l’Inde et une troisième par Suez”. Le collectionneur, par Internet, demande donc à tous ceux qui, en métropole, possèdent des lettres de ce genre, de les lui communiquer. Deux objectifs à cette opération : “aller en profondeur dans l’histoire de la Poste maritime, qui montre qu’entre 1816 et 1865, la vitesse d’achimenement du courrier a été multipliée par neuf : il ne falllait que 28 jours pour rallier la métropole en 1865”. Mais surtout, “faire revenir à la Réunion tout ce patrimoine historique éparpillé dans le monde entier. Lorsque je fermerai mes yeux pour la dernière fois, tout cela fera l’objet d’une dation aux archives réunionnaises”.
Cette lettre date de 1816.