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31 janvier 2012 2 31 /01 /janvier /2012 23:16

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(photos prises le 31 janvier 2012)

 

seuls ou en groupe
défis lancés au vent au gel au givre à la neige
témoins stoïques de l'humaine impatience
beaux arbres sages
mages accordés aux saisons
amis de la noblesse d'âme
votre force nous met à genoux
vos nuits sont frôlements d'étoiles murmures hululements
hier entre Ruffec Niort et Nantes
j'ai caressé votre écorce
je vous rendais vos saluts

 

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     Le Platane

Tu borderas toujours notre avenue française pour ta simple membrure et ce tronc clair, qui se départit sèchement de la pla­ titude des écorces,
Pour la trémulation virile de tes feuilles en haute lutte au ciel à mains plates plus larges d'autant que tu fus tronqué,
Pour ces pompons aussi, ô de très vieille race, que tu pré­ pares à bout de branches pour le rapt du vent,
Tels qu'ils peuvent tomber sur la route poudreuse ou les tuiles d'une maison... Tranquille à ton devoir tu ne t'en émeus point  :
Tu ne peux les guider mais en émets assez pour qu'un seul succédant vaille au fier Languedoc
A perpétuité l'ombrage du platane.

Francis PONGE   Pièces   (1942)

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AU PLATANE

À André Fontainas.
Tu penches, grand Platane, et te proposes nu,
Blanc comme un jeune Scythe, Mais ta candeur est prise, et ton pied retenu
Par la force du site.

Ombre retentissante en qui le même azur
Qui t'emporte, s'apaise,
La noire mère astreint ce pied natal et pur
À qui la fange pèse.
De ton front voyageur les vents ne veulent pas; La terre tendre et sombre,
Platane, jamais ne laissera d'un pas S'émerveiller ton ombre!
Ce front n'aura d'accès qu'aux degrés lumineux
Où la sève l'exalte;
Tu peux grandir, candeur, mais non rompre les nœuds
De l'éternelle halte!
Pressens autour de toi d'autres vivants liés
Par l'hydre vénérable;
Tes pareils sont nombreux, des pins aux peupliers,
De l'yeuse à l'érable,
Qui, par les morts saisis, les pieds échevelés
Dans la confuse cendre,
Sentent les fuir les fleurs, et leurs spermes ailés
L e cours léger descendre.
Le tremble pur, le charme, et ce hêtre formé
De quatre jeunes femmes,
Ne cessent point de battre un ciel toujours fermé,
Vêtus en vain de rames.
Ils vivent séparés, ils pleurent confondus
Dans une seule absence,
Et leurs membres d'argent sont vainement fendus
À leur douce naissance.
Quand l'âme lentement qu'ils expirent le soir
Vers l'Aphrodite monte,
La vierge doit dans l'ombre, en silence, s'asseoir,
Toute chaude de honte.
Elle se sent surprendre, et pâle, appartenir
À ce tendre présage
Qu'une présente chair tourne vers l'avenir
Par un jeune visage...

Mais toi, de bras plus purs que les bras animaux
Toi qui dans l'or les plonges, Toi qui formes au jour le fantôme des maux
Que le sommeil fait songes,
Haute profusion de feuilles, trouble fier Quand l'âpre tramontane
Sonne, au comble de l'or, l'azur du jeune hiver Sur tes harpes, Platane,
Ose gémir!... Il faut, ô souple chair du bois,
Te tordre, te détordre,
Te plaindre sans te rompre, et rendre aux vents la voix
Qu'ils cherchent en désordre!
Flagelle-toi!... Parais l'impatient martyr
Qui soi-même s'écorche,
Et dispute à la flamme impuissante à partir
Ses retours vers la torche!
Afin que l'hymne monte aux oiseaux qui naîtront,
Et que le pur de l'âme
Fasse frémir d'espoir les feuillages d'un tronc
Qui rêve de la flamme,
Je t'ai choisi, puissant personnage d'un parc,
Ivre de ton tangage,
Puisque le ciel t'exerce, et te presse, ô grand arc,
De lui rendre un langage!
8 qu'amoureusement des Dryades rival,
Le seul poète puisse
Flatter ton corps poli comme il fait du Cheval
L'ambitieuse cuisse!...
- Non, dit l'arbre. Il dit : Non! Par l'étincellement De sa tête superbe,
Que la tempête traite universellement
Comme elle fait une herbe!

Paul VALÉRY, Charmes (1922)

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L’Arbre

Il y avait autrefois de l'affection, de tendres sentiments,
C'est devenu du bois.
Il y avait une grande politesse de paroles,
C'est du bois maintenant, des ramilles, du feuillage.
Il y avait de jolis habits autour d'un cœur d'amoureuse
Ou d'amoureux, oui, quel était le sexe ?
C'est devenu du bois sans intentions apparentes
Et si l'on coupe une branche et qu'on regarde la fibre
Elle reste muette
Du moins pour les oreilles humaines,
Pas un seul mot n'en sort mais un silence sans nuances
Vient des fibrilles de toute sorte où passe une petite fourmi.

Comme il se contorsionne l'arbre, comme il va dans tous les sens,
Tout en restant immobile  !
Et par là-dessus le vent essaie de le mettre en route,
Il voudrait en faire une espèce d'oiseau bien plus grand que nature
Parmi les autres oiseaux
Mais lui ne fait pas attention,
Il faut savoir être un arbre durant les quatre saisons,
Et regarder, pour mieux se taire,
Écouter les paroles des hommes et ne jamais répondre,
     Il faut savoir être tout entier dans une feuille
Et la voir qui s'envole.
Jules SUPERVIELLE             Les Amis inconnus    (1934)

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Je ne suis pas
Une addition d’arbres.

Le chat-huant le sait,
Le repète,

Lui qui est ma voix,
Le meilleur de mes voix

*

Je ne suis pas l’ombre.

Il y a partout
De ces choses qui sont
Ou qui font de l’ombre.

*
Moi je serpente,
Je navigue

A travers du fluide,
Sur du solide
Ou du presque solide.

Je vais

*

En moi,
Ce n’est pas si fluide

En moi, l’air lui-même
Est un peu opaque.

*

Je suis du silence.
Je suis une amphore de silence.

Je suis du silence
Qui impose du silence.

*

Les fougères diront
Que je suis de l’humidité.

Je suis une humidité
Qui se plaît à creuser.

*

Je suis comme j’étais
Il y a des millénaires.

Les amoureux le savent
Sans le savoir.

En moi ils aiment
Comme nulle part ailleurs.

Ils s’aiment
Depuis l’origine.

*

J’ai toujours l’air de dormir
Et je ne dors jamais.

Je veille sur les planètes
Mes contemporaines.

*

Je frémis
A la pensée de ce que je suis.

Je crois que ce sont les hommes
Qui m’ont appris à frémir,

Eux qui me traversent
Non sans malaise,

Qui me saccagent.

*

Je me vois forêt
Couvrant la terre entière,

Etouffant les cris.

*

En attendant,
Je suis ce que suis,

Un empire
Entre des républiques remuantes.

*

J’ai mes bêtes.
Elles me comprennent,

Du lièvre à la coccinelle,
Du chevreuil à la fourmi.

Elles se voient perdues
Quand elles me quittent,
Quand on m’abat.

*

On ne m’empêchera pas
De croire que je domine.

Que je ne sache pas quoi
Importe peu.

C’est quelque chose
Qui a rapport avec le temps.

Avec la profondeur aussi.

*

Vous n’êtes pas
Obligés de me croire,

Je ne cherche pas à convaincre.

Les millénaires m’ont appris à vivre
Dans mes dimensions, mes propriétés,

A rester ouverte à tout
En me vivant moi-même.

*

Les hommes peuvent
Abattre de mes arbres,

Ils peuvent
Nettoyer mes sous-bois,

Je reste
Ou redeviens pareille […]

*

Je suis comme j’étais
Il y a des millénaires.

Les amoureux le savent
Sans le savoir.

En moi ils aiment
Comme nulle part ailleurs.

Ils s’aiment
Depuis l’origine.

*

J’ai toujours l’air de dormir
Et je ne dors jamais.

Je veille sur les planètes
Mes contemporaines.

*

Je frémis
A la pensée de ce que je suis.

Je crois que ce sont les hommes
Qui m’ont appris à frémir,

Eux qui me traversent
Non sans malaise,

Qui me saccagent.

*

Je me vois forêt
Couvrant la terre entière,

Etouffant les cris.

*

En attendant,
Je suis ce que suis,

Un empire
Entre des républiques remuantes.

Eugène Guillevic
Extrait de Les Motifs (1987)

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LES SAPINS

Les sapins en bonnets pointus
De longues robes revêtus
    Comme des astrologues
Saluent leurs frères abattus
Les bateaux qui sur le Rhin voguent

Dans les sept arts endoctrinés
Par les vieux sapins leurs aînés
    Qui sont de grands poètes
Ils se savent prédestinés
A briller plus que des planètes

A briller doucement changés
En étoiles et enneigés
    Aux Noëls bienheureuses
Fêtes des sapins ensongés
Aux longues branches langoureuses

    Les sapins beaux musiciens
    Chantent des noëls anciens
        Au vent des soirs d'automne
    Ou bien graves magiciens
    Incantent le ciel quand il tonne

Des rangées de blancs chérubins
Remplacent l'hiver les sapins
    Et balancent leurs ailes
L'été ce sont de grands rabbins
Ou bien de vieilles demoiselles

Sapins médecins divagants
Ils vont offrant leurs bons onguents
    Quand la montagne accouche
De temps en temps sous l'ouragan
Un vieux sapin geint et se couche


Guillaume APOLLINAIRE, Alcools (1913)

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ÉLÉGIE XXIV.Contre les bûcherons de la forêt de Gâtine
[…]
    Écoute, Bûcheron, arrête un peu le bras,
20 Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas,
Ne vois‑ tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des Nymphes qui vivaient dessous la dure écorce  ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
25 Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites‑ tu, méchant, pour tuer des Déesses?
    Forêt, haute maison des oiseaux bocagers,
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
3o Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.
    Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Jeannette  :
35 Tout deviendra muet, Écho sera sans voix;
Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue  :
Tu perdras ton silence, et haletant d'effroi
40 Ni satyres ni pans ne viendront plus chez toi.
    Adieu vieille forêt, le jouet de Zéphyre,
Où premier j'accordai les langues de ma lyre,
Où premier j'entendis les flèches résonner
D'Apollon, qui me vint tout le cœur étonner ;
45 Où premier admirant la belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta,
Et de son propre lait Euterpe m'allaita.
    Adieu vieille forêt, adieu têtes sacrées,
50 De tableaux et de fleurs autrefois honorées,
Maintenant le dédain des passants altérés,
Qui brûlés en été des rayons éthérés,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent vos meurtriers, et leur disent injures.
55    Adieu Chênes, couronne aux vaillants citoyens,
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnâtes à repaître,
Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnaître
Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers,
60 De massacrer ainsi nos pères nourriciers.
    Que l'homme est malheureux qui au monde se fie!
O Dieux, que véritable est la philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin périra,
Et qu'en changeant de forme une autre vêtira  :
65 De Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et la cime d'Athos une large campagne,
Neptune quelquefois de blé sera couvert.
La matière demeure, et la forme se perd.

Elégies (1584) Pierre de Ronsard

 

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