vendredi 14 septembre 2012
je ne sais pas les mots qui diraient la magie des lieux
il est 3h 50 à Ramena
j'entends l'incessant froissement des feuillages brassés par le varatraza
l'inlassable ressac doux de l'eau sur le sable
les coqs
les boiseries des cases qui craquent
j'attends le taxi-brousse pour Diego
il n'est pas là
il viendra vers 5h parce qu'au bazary, comme Vatel jusqu'en 1671, restaurateurs et poissonniers attendent la marée : langoustes, crevettes, poulpes, calamars, marguerites, capitaines, perroquets,
crabes de mangrove
au-dessus du village
baigné d'obscurité liquide
l'incroyable pureté du ciel
l'impensable intensité de chaque étoile, planète, amas, supernova, constellation, nébuleuse, galaxie
le vent parle au village endormi dans l'encre du cosmos et de l'océan
dans son souffle on entend respirer les morts
ici les gens lisent peu, ils se parlent, s'observent, survivent dans un écoulement où les heures ne comptent pas
qu'est-ce que l'homme occidental peut se donner comme raison d'être venu se perdre ici ?
il faut accepter qu'il n'y en ait pas pour peut-être en trouver une
une réponse qui ressemble à la poussière du varatraza, à celle des ancêtres, si loin, si proches
4h 40 plusieurs femmes, le bagage sur la tête, sont montées dans la 404 plateau
le véhicule s'ébranle, chargé à 2,5 tonnes (plus de 20 passagers)
un seul phare
à plusieurs reprises on prend d'autres voyageurs dans les ruelles sableuses bordées de tôles rouillées
lente montée en 1ère jusqu'à l'école des lionceaux où a lieu un nouvel arrêt
la piste de Diego n'est que bosses et trous
on dirait que le chassis de la vieille Peugeot en reptation, au fil des décennies, à force de se plier, d'onduler, de ramper, de se trémousser, de tanguer dans la nuit noire, a appris à
s'assouplir, à se faire malléable
le métal martyrisé du moteur mazout martèle mollement
il geint, il gémit, il grince, il crie, il ahanne
dans la côte d'Ankoriko, le voyant de pression d'huile s'allume quelques secondes, la chaîne de distribution claque
le chauffeur a des yeux de chat, il voit des ombres avant moi, qui veulent monter dans le bateau fantôme, il freine, stoppe, coupe le phare pour économiser la batterie, entend les 2 petits coups
sur la tôle, repart, rallume le phare
au carrefour de Vovo, nous arrive une charrette zébu chargée de 5 gros et lourds paniers de poissons, au moins 200 kilos qui sont hissés sur la galerie métallique bâchée
et montent de nouveaux passagers
dans certains virages, même à 15 km/h, la gîte est plus forte et le taxi talonne
au-dessus de nous, dans les grands paniers, des poissons fraîchement pêchés doivent agoniser en frappant de la queue
enfin, c'est la gare routière
je paie mon voyage, 10 000 Fmg (0,7 euro)
le jour se lève
les uns après les autres, les muezzins s'égosillent en psalmodiant des versets du coran
il est 5h 45
dans la cour du commissariat, un commandant fait rire ses hommes en se moquant de l'un d'eux
des took-tooks (ou bejajs, même mot qu'en Indonésie en 1974 [bedja]) passent avec 5 passagers au lieu de 3
l'un d'eux s'arrête et m'emmène à mon hôtel pour 2500 Fmg
dans 2h, je serai dans l'agence Air Mad pour confirmer mon vol de lundi vers la Réunion
puis je créerai un alphabet en attaché, des tables de multiplication destinées à l'affichage, achèterai équerres, pitons, vis, sifflets, et Mickaël viendra chercher tout cela demain pour que
lundi, on ne manque de rien chez les lionceaux et à la maternelle de Dadapierre
alternativement perpétuellement couleurs des dessins des enfants au soleil puis grincements scintillements ténébres avec poussières d'étoiles et vice-versa
le sourire de Claudine
l'eleron d'or
le falafy des gargottes sur la plage
pendant plus d'une heure, devant moi, cette petite fille a vérifié :
- qu'il fallait creuser plus pour trouver de l'eau, et d'autant plus qu'on était loin de la rive
- qu'il fallait de la pente pour que l'eau s'écoule
- qu'avec sa main, on peut aider l'eau à retourner à la mer
- que la marée peut monter ou descendre
les poupons aux prises avec les lois régissant les marées, les solides et l'hydraulique sont des génies