Au début je t'en ai voulu. J'ai vu passer juillet, août, septembre, sans que tu donnes signe de vie. Face aux élèves, aux collègues, aux paperasses venues de partout : Fokontany, Palais Fary
Tany, Ambassade de France, Ministère de l'éducation malgache, missives imprimées où on lit partout "monsieur jean-claude jorgensen est nommé professeur d'arts plastiques au lycée français
d'Antsiranana", j'ai tremblé ! "Keloreur, ils vont découvrir que je suis un imposteur". John avait dit qu'il m'aiderait et il me laisse tomber. Bon, personne ne voulait du poste, il était
inoccupé depuis 2 ans et mal payé. Mais j'étais quand même "attendu comme le messie" comme me l'avaient dit mes collègues.
Peu à peu, j'ai constaté que non seulement l'enseignement de l'histoire des arts et des arts plastiques me comble et comble les élèves, mais la formation, je l'avais eue avant : en te fréquentant
pendant 2 ans, en coanimant l'atelier photo du lycée Evariste Parny avec François-Louis Athenas, en courant les galeries d'art depuis des décennies, en participant à l'université d'été sur
l'histoire des arts à Toulouse en 1995 (Philippe Joutard), en emmenant les élèves qu'on me confiait au musée des Beaux-arts, au Louvre ou à Orsay presque chaque année depuis 1977, et même en
jouant de la flûte traversière (amplifiée) avec John Chicaï. La transfusion se fait mieux devant un rhum arrangé (ou plusieurs) que dans un amphi.
Depuis septembre, j'ai du plaisir à inventer des activités brèves (1h) qui seront forcément réussies, quelques exemples :
6è
colorer des mandalas
travailler avec des crayons de bois durs et gras + gommer pour donner un relief aux silhouettes d'animaux de la grotte Chauvet
inventer des cartouches de hiéroglyphes
ajouter des bras à la Vénus de Milo
reproduire la pieuvre d'une amphore cycladique
reproduire 3 athletos pendant une course à pied
5è
dessiner des arcs doubles de la mosquée de Cordoba (compas souhaité)
inventer de nouveaux plans pour le potager de Villandry
réaliser 2 ou 3 blasons (façon malagasy)
4è
dessiner et colorer une grande vague à la manière d'Hokusaï
imaginer des variations autour des nymphéas de Monet (crayons aquarellables et compas conseillés)
dessiner et colorer la chaise et la pipe de Van Gogh en conservant la perspective
dessiner à l'encre de seiche achetée au bazar (marché en plein air) un coquillage ramassé sur la plage
mettre en scène des cartes à jouer (après l'étude du tricheur à l'as de carreau de G de la Tour)
3è
confectionner un répertoire de notions
rédiger un commentaire d'une ou plusieurs photos de Willy Ronis (texte correspondant étudié par le prof de français)
réaliser une sculpture en fil de fer de jardin à la manière de Calder
dessiner son logo personnel
Le matériel que j'ai apporté en septembre avec moi ou par frêt cargo de France ou de la Réunion, m'a facilité la vie :
un video-projecteur, un ordinateur, des enceintes acoustiques alimentées, une dizaine de pochettes de 18 crayons aquarellables, des aimants, une trentaine de reproductions de tableaux en
affiches, 52 kgs de livres d'art, des dizaines de vidéos en .mpg (beaucoup de Palettes), des pinceaux, des craies grasses, des crayons 2B et 2H, des fusains, des pastels, du canson, de la terre
et même de la peinture pour verre. Hormis, en 3è, quelques humoristes qui attendent leurs 16 ans et qui sont parfois exclus 3 jours, une écrasante majorité d'élèves jouent le jeu, j'ai beaucoup
de chance par rapport à mes collègues de l'hexagone qui doivent hisser Monchéri et Moncoeur au pinacle pour complaire au ministre.
En résumé, j'espère, mon cher John, n'avoir pas déshonoré ta profession.
l'entrée du lycée Sadi Carnot
on applaudit bien fort le jardinier qui a planté un ravenale, un arbre du voyageur dans l'enceinte du lycée français de Diego-Suarez
le bâtiment où se trouve la "salle de dessin"
j'ai visé l'économie : en guise d'écran, de l'acrylique blanc
carton d'emballage, pointes à béton, bobineau de journal