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9 février 2014 7 09 /02 /février /2014 18:29

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je viens de partir de Marrakech et sur ma droite, le Moyen-Atlas donne à voir sa belle livrée d'hiver

 

Marrakech-Khenifra-Marrakech 21-23 janvier 2014
C'est une incursion de 36h dans le Moyen-Atlas et dans le passé, les années 1975-77. Quand on est à Marrakech un mercredi soir pour y prendre un avion le lundi matin suivant, c'est tentant d'aller faire un tour à 5h de bus de là, dans la petite ville où on a enseigné le FLE pendant 2 années scolaires (4 classes de 50 élèves X 2) 36 ans et demi plus tôt. Pas pour y chercher des souvenirs oubliés ou je ne sais quel fantôme, plutôt par curiosité : quel effet ça fait ? Je m'attendais à peiner pour reconnaître Khenifra mais je ne pensais pas que la métamorphose avait été aussi gigantesque. Passer de 15 000 habitants à 75 000 revient à une transformation si radicale de l'urbanisme que j'ai marché des heures dans les rues, de place en place, pour me situer et  me construire un plan mental (je n'ai jamais pu acheter un plan et j'ignore même s'il en existe un). Un peu ce qui arrive à certains personnages de Alain Robbe-Grillet ou de Michel Butor.
Mais le changement est aussi culturel : depuis des années, aucun français n'enseigne plus à Khenifra. Les profs français ont été remplacés par des profs marocains. La petite communauté de roumis a disparu. Aucun d'entre eux n'a d'ailleurs cherché à me revoir et j'ignore où ils sont. C'est un passé enfoui, une strate à fouiller pour l'archéologue qui voudrait reconstituer cette époque des "coopérants", de leur situation ambiguë et un peu artificielle : nécessaires pour faire acquérir un niveau lycée à un plus grand nombre de jeunes marocains, porteurs d'un modèle occidental envié et néanmoins étrangers et chrétiens (ou athées). Pour certains, vie moins chère, exotisme, personnel de maison pour s'occuper d'un enfant en bas-âge, statut de maître-auxiliaire étaient les raisons de ne pas revenir dans l'hexagone trop vite. Pour d'autres dont j'étais c'était le moyen d'éviter d'aller "sous les drapeaux" apprendre à tuer. A 26 ans, c'est encore l'apprentissage de la vie, la découverte de la vie de couple et ses aléas. "C'était le bon temps" comme me l'a dit Abdelkader au Nouveau Collège jeudi après-midi.
Une petite ville ancienne enfouie sommeille sous la grande ville moderne qui vient. Des vestiges affleurent : le pont des portugais, la cabane du Far-west (face à la caserne) où se vendent toujours les alcools, l'Hôtel de France, le lycée. Mais le passage du temps est palpable dans l'engloutissement et le remodelage des quartiers, l'empilement des étages (qui correspond à la superposition des générations), l'étalement de nouveaux pâtés de maisons qui déclinent rouille, puce, rose, brunâtre, orangé, brique, beige, ocre, roux et rougeâtre. Entre passé fané et clichés de 2014, où est la bonne distance ?
A mon arrivée le premier soir, j'ai dormi près de la gare routière, à l'hôtel Jaouharat al Atlas, non signalé dans le Routard, on se demande pourquoi : wifi gratuit, eau chaude, bien tenu, accueillant et bien moins cher que les autres. La patronne de l'hôtel est très sympa et me passe une 2è couverture : il fait -- 5° et à Khenifra, le seul chauffage, c'est le kanoun (petit brasero en argile cuite).
J'ai été accueilli chaleureusement au Nouveau Collège. Comme Abdou (cf traversée du Haut-Atlas juin 2012) ne m'a jamais répondu, je venais apporter au Principal "Tajine de lapin" éditions Yomad en 3 exemplaires : français, arabe, amazigh. Il a apprécié le cadeau qu'il remettra à un instit de CM car l'amazigh est enseigné en primaire, mais non en collège. J'ai bavardé longtemps avec Rami le principal adjoint, Saïda et Abdelkader 2 profs de français qui parlent mieux le français que beaucoup de nos compatriotes. Abdelkader a mon âge et a connu tous les coopérants des années 70... Mais l'heure n'était pas à la nostalgie. Il m'a confirmé que toute aide à des écoles primaires, en particulier pour l'enseignement de la langue française serait la bienvenue. On se quitte avec la promesse d'aller ensemble saluer un jour les macaques du lac Aguelmame Aziza et les truites du Jenane Imès.
Dans les rues, l'évidence saute aux yeux : aucun touriste, aucune femme dans les cafés, beaucoup d'adolescentes en cheveux. Elles portent bottines, jean et moumoute. Celles qui portent un fichu ne représentent peut-être pas la moitié. On est loin des villes du sud où les femmes portent des lunettes de soleil sur la fente de la burka.
Des cigognes dans le ciel, l'Oum er Rbia dans son lit de basalte, des figuiers de barbarie, une odeur de cèdre, des eucalyptus, des lauriers-roses, des chênes verts, des tapis zaïane ; une langueur et une gentillesse très éloignées de l'agitation de Casa et de Marrakech. Khenifra : selon l'étymologie qui prévaut, le toponyme viendrait d'un verbe amazigh « khanfar » qui signifie « agresser ». Pour moi, elle est la ville qui sait garder ses secrets.
Un muezzin s'égosille et tient sa note plusieurs dizaines de secondes comme la corne d'un bateau dans la brume. Il est temps pour moi de rejoindre mon hôtel, le bus pour Marrakech démarre demain matin à 6h.

 

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pause avant Beni-Mellal

 

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vue de ma chambre d'hôtel

 

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l'hôtel Jaouharat al Atlas

 

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le Nouveau Collège

 

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La porte d'entrée principale du Nouveau Collège, de son vrai nom Collège Prince Moulay Abdallah, en arabe et en amazigh (alphabet Tifinagh)

 

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inchangé : ce couloir qui conduit à ma salle de classe ; un chaouch muni d'un baton veillait à la discipline

 

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la cour intérieure du Nouveau Collège

 

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la rue principale

 

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mi casa : j'habitais au rez-de-chaussée

 

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le pont des portugais (ce qu'il en reste)

 

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les fortifications

 

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l'Oum er Rbia

 

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vendredi 23, retour matinal vers Marrakech

 

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les neiges du Haut-Atlas vues depuis Marrakech le soir même

 

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Oumsoud (juin 2012) est caché, à gauche

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