Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 octobre 2012 4 11 /10 /octobre /2012 13:33

MORA MORA
"Madagascar est un pays d'avenir et il le restera". C'est à De Gaulle qu'on prête cette formule. Peut-être ne l'a-t-il jamais prononcée, mais avec son humour acide il aurait pu la dire et de toute façon il a fait une déclaration très ressemblante aux malgaches en 1958.
Je n'ai pas oublié une petite scène vécue en décembre 2010 au volant de ma 4L sur la route de Diego à Ramena, dans la saline, près de la barrière de gendarmerie. Il y a là une ligne droite, un bout de route rectiligne et plat qui mesure un bon kilomètre. C'est un des rares endroits où, en zigzagant entre les nids de poule, on peut pousser sa voiture à 80 km/h quelques instants si elle en est capable.
En entrant dans cette ligne droite, je me rends compte qu'une autre voiture tout là-bas arrive à l'autre extrémité et me croisera. Impossible pour l'instant d'évaluer sa vitesse et d'anticiper sur le lieu du croisement et d'ailleurs quel intérêt ?
De plus en plus distinctement, je réalise qu'au milieu de la ligne droite, sur la route, sur ma voie, dans le même sens que moi, avance un piéton. Il est trop tôt pour savoir si le dépassement se fera avant ou après le croisement. La chaleur floute le véhicule en face à plusieurs centaines de mètres. Et il y a les nids de poule qu'on ne peut pas quitter des yeux. Rester pied au plancher ? lâcher l'accélérateur ? De chaque côté de la route bosselée, il y a un accotement de terre durcie, très plat, aussi large que la chaussée elle-même. Pourquoi ce piéton ne marche-t-il pas sur la terre ? pourquoi choisit-il le goudron défoncé et brûlant ? Il va m'entendre, il va obliquer vers l'accotement sans doute.
Plus le temps passe, plus les calculateurs chauffent, ralentir ou accélérer, prévoir un dépassement ou non, à quelle vitesse roule le véhicule en face ? le piéton restera-t-il fidèle au goudron ? combien de temps ?
Dans cette grande plaine vide surveillée par Nosy Longo, nous sommes 3 : 2 voitures et 1 piéton, et nous nous croiserons approximativement au milieu de la ligne droite.
Pas de chance, ce matin, j'ai fait cours aux CP, les élèves du lycée m'attendent pour leurs cours d'histoire des arts et je saute même le déjeuner. On me dira : "pourquoi ne pas dépasser le piéton par la droite ?" mais, même 2 ans après, je suis persuadé que si je l'avais dépassé par la droite, il aurait regagné l'accotement au dernier moment et, avec mes freins de 4L, je n'aurais pas pu l'éviter.
Pas de doute, il faut ralentir, le dépassement est impossible. Il faut d'abord laisser la voiture en face me croiser. Sans doute le piéton m'entendra ralentir, comprendra, s'écartera au dernier moment. Je n'aurai fait que ralentir un peu. Et la voiture en face se rapproche, et le piéton bien planté au milieu de ma voie ne bouge pas, ne se retourne pas. Je freine. Je freine. L'autre passe. Je m'arrête. J'ai stoppé. Le piéton ne s'est pas retourné. C'est un homme âgé, voûté, il avance très lentement. Je remets la 1ère, je démarre, je dépasse l'homme, je lui jette un regard au passage. Lui aussi consent enfin à tourner la tête vers moi. Sur son visage impénétrable : aucune expression, aucune émotion. On peut aussi bien y lire "je l'ai fait exprès, j'en avais besoin pour exister, j'aime mettre en retard les autres gratuitement" que "aza fady, je viens de faire 10 kms, j'étais perdu dans mes pensées, je viens seulement de me rendre compte que j'aurais dû marcher à côté de la route". Indécidable. Impassibilité maximum. Mystère. Espèce humaine.

Partager cet article
Repost0

commentaires