Les Épiceries
Le soleil meurt : son sang ruisselle aux devantures
Et la boutique immense est comme un reposoir
Où sont, par le patron, rangés sur le comptoir
Comme des cœurs de feu, les bols de confitures.
Et, pour mieux célébrer la chute du soleil,
L'épicier triomphal qui descend de son trône,
Porte dans ses bras lourds un bocal d'huile jaune
Comme un calice d'or colossal et vermeil.
L'astre est mort ; ses derniers rayons crevant les nues
Illuminent de fièvre et d'ardeurs inconnues
La timide praline et les bonbons anglais.
Heureux celui qui peut dans nos cités flétries
Contempler un seul soir pour n'oublier jamais
La gloire des couchants sur les épiceries.
Les Masques 1957, Vincent MUSELLI
21 mai 18:07:08
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27 avril
La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles.
C'était le jour béni de ton premier baiser.
« Apparition », 1863, Stéphane Mallarmé
27 avril
la Terre, plus bas, qui rêve et veille encor
Sous le pétillement des solitudes bleues,
Regarde en souriant, à des milliers de lieues,
La lune, dans l'air pur, tendre son grand arc d'or.
Au plus creux des ravins emplis de blocs confus,
De flaques d'eau luisant par endroits sous les ombres,
La lune, d'un trait net, sculpte les lignes sombres
De vieux troncs d'arbres morts roides comme des fûts.
Dans les taillis baignés de violents aromes
Qu'une brume attiédie humecte de sueur,
Elle tombe, et blanchit de sa dure lueur
Le sentier des lions chasseurs de boeufs et d'hommes.
« Les Clairs de lune », Poèmes barbares, Leconte de Lisle
13 avril
Tristesse de la lune
Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse;
Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui d'une main distraite et légère caresse
Avant de s'endormir le contour de ses seins,
Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l'azur comme des floraisons.
Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poète pieux, ennemi du sommeil,
Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d'opale,
Et la met dans son coeur loin des yeux du soleil.
Les Fleurs du Mal, Baudelaire
Les Bienfaits de la Lune
La Lune, qui est le caprice même, regarda par la fenêtre pendant que tu dormais dans ton berceau, et se dit: "Cette enfant me plaît."
Et elle descendit moelleusement son escalier de nuages et passa sans bruit à travers les vitres. Puis elle s'étendit sur toi avec la tendresse souple d'une mère, et elle déposa ses couleurs sur
ta face. Tes prunelles en sont restées vertes, et tes joues extraordinairement pâles. C'est en contemplant cette visiteuse que tes yeux se sont si bizarrement agrandis; et elle t'a si tendrement
serrée à la gorge que tu en as gardé pour toujours l'envie de pleurer.
Cependant, dans l'expansion de sa joie, la Lune remplissait toute la chambre comme une atmosphère phosphorique, comme un poison lumineux; et toute cette lumière vivante pensait et disait: "Tu
subiras éternellement l'influence de mon baiser. Tu seras belle à ma manière. Tu aimeras ce que j'aime et ce qui m'aime: l'eau, les nuages, le silence et la nuit; la mer immense et verte; l'eau
uniforme et multiforme; le lieu où tu ne seras pas; l'amant que tu ne connaîtras pas; les fleurs monstrueuses; les parfums qui font délirer; les chats qui se pâment sur les pianos et qui
gémissent comme les femmes, d'une voix rauque et douce!
"Et tu seras aimée de mes amants, courtisée par mes courtisans. Tu seras la reine des hommes aux yeux verts dont j'ai serré aussi la gorge dans mes caresses nocturnes; de ceux-là qui aiment la
mer, la mer immense, tumultueuse et verte, l'eau informe et multiforme, le lieu où ils ne sont pas, la femme qu'ils ne connaissent pas, les fleurs sinistres qui ressemblent aux encensoirs d'une
religion inconnue, les parfums qui troublent la volonté, et les animaux sauvages et voluptueux qui sont les emblèmes de leur folie."
Et c'est pour cela, maudite chère enfant gâtée, que je suis maintenant couché à tes pieds, cherchant dans toute ta personne le reflet de la redoutable Divinité, de la fatidique marraine, de la
nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques.
Le Spleen de Paris, Charles Baudelaire
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'garde trois zieu = regarder attentivement
50 malbars su un manche pioche = beaucoup de gens occupés à ne rien faire
aller voir madame Paul = aller aux toilettes
bouche ton gueule = ferme-la
donne dame-jeanne pou bouteill = marché de dupes
en z'arête poisson= très maigre, squelettique
faille faille la rouille = très fatigué
faire Pâques avant Carême = avoir des relations sexuelles avant le mariage
faire son pti l'auto = prendre ses jambes à son cou
faire son zourite = se cacher, se dissimuler ; filer en zourite = disparaître à toute vitesse
fait tire le vent = faire faire son rot à un baba
fam mange le corde = femme aux moeurs légères
figur pareil le po jaque = avoir de l'acné
gagne salarié = être à la retraite
garçon le prêtre = enfant de choeur
gardien volcan = personne rousse
gâteau soleil = excrément
gencive goyave = rouge et proéminente
gonfler en mâle dinde = se donner de l'importance
gosier i batt quat' cylind = avoir un gros appétit ; grand gosier = personne qui boit beaucoup
gratteur ti boi = sorcier
grouille out cu = dépêche-toi
l'entrée d'tab' = le hors d'oeuvre
l'hôtel zaricots = la prison
la grain d'bibasse dans zorey = être sourd
le diab i marie son fille = l'arc-en-ciel
lèv saucisses = bouche lippue
lu la gagn un paquet de brèdes = annonce de la naissance d'un garçon
lu la mangé gingemb = excité sexuellement
lu la regarde soleil dan passoire = il/elle a des taches de rousseur
lu veut traverse la mer su un coque pistache = se dit d'un projet impossible à réaliser
lu voit un mort qui passe, lu veut deux = personne jamais contente
magasin suif = l'anus
Marie bon coeur (inutile de traduire)
na pu l'huile dans le lamp = la vieillesse rend impuissant
perd' son rondelle = pour une fille, perdre son pucelage
pèse su la queue pou voir si le têt i bouge = sonder, essayer de tirer les vers du nez
pique la tête volaille = contracter une maladie vénérienne
piqure pou boire = ampoule buvable
pluche z'oignons = poireauter
quitte gendarmes pou rent police = blanc bonnet bonnet blanc
quitte Grand Bénare pou aller su Piton d'neiges = tomber de Charybde en Scylla
ramasse mangue a terre = se dit d'un homme ayant recueilli une femme un peu libre sous son toit
rond comm le boule carrée = ivre
royaume vent' en l'air = le cimetière
sent l'odeur d'bois sap' = sentir le cercueil, être près de sa fin
serviette le mois = serviette périodique
sirop z'anana = correction, râclée
son gaz i monte = il devient fou
son zyeu i 'clatent comm zétoil 4h = ses yeux brillent comme l'étoile du berger
un zyeu i vole manioc, l'aut i veille gardien = avoir du strabisme
zenfan dan zerb = enfant illégitime
feuilles d'olivier, cumin, curcuma, géranium
tapioca, safran
mandarines péi
huiles essentielles : géranium, citron, cannelle, eucalyptus, sapin, kryptoméria, laurier, encens oliban, ylang ylang, vetiver
tisanes de l'est :
zattes
papayes
musicos
Le 27 avril 1848 est la date de la signature, par Victor Schoelcher, du décret d'abolition de l'esclavage. La loi Taubira de 2001, qui prévoit une journée nationale de la mémoire de l'esclavage,
a institué un comité, dont je faisais partie, nommé pour cinq ans et mis en place en 2004, qui devait faire des propositions, notamment sur le choix d'une date métropolitaine - car, dans chaque
département d'outre-mer, il y a déjà, depuis 1983, un jour férié. Les débats pour parvenir à une date de commémoration ont duré dix-huit mois. Le 27 avril a été l'une des premières propositions.
Je suis de ceux qui ont émis des réserves. Car, depuis quelques années, il y a dans les mouvements associatifs antillais - à tort ou à raison, la réalité historique étant très complexe - un rejet
de l'idée que l'abolition a été octroyée depuis Paris par un "grand Blanc". On estime désormais que la liberté a été imposée à la métropole par les esclaves, alors que pendant longtemps, il y a
eu, au contraire, un véritable culte de la personnalité de Schoelcher, qui a produit ce retour de bâton. Quoi qu'il en soit, la date du 27 avril aurait suscité des réactions négatives.
Personnellement, j'étais favorable au 4 février, date de la première abolition, en 1794. C'était la convergence entre la lutte des victimes et la légalité républicaine. On m'a opposé qu'elle
n'avait duré que huit ans puisque Napoléon a rétabli l'esclavage en 1802. On s'est finalement arrêté sur le 10 mai, jour où, en 2001, le Sénat a voté, après l'Assemblée nationale, la loi Taubira
à l'unanimité.
Qu'avez-vous pensé du rapport d'André Kaspi déplorant la multiplication des dates commémoratives ?
Comment un historien peut-il penser qu'il est possible d'arrêter le temps ? André Kaspi préconisait de ne garder que trois dates commémoratives, le 8 Mai, le 14 Juillet et le 11 Novembre. Et,
surtout, il estimait que les autres dates étaient locales ou communautaires, ce qui est choquant, appliqué à l'esclavage, car cette longue histoire concerne la nation entière.
En 2004, dans son livre "Les Traites négrières, essai d'histoire globale", qui a suscité la polémique, Olivier Pétré-Grenouilleau disait qu'il voulait libérer la mémoire des ravages des "on dit"
et des "je crois". Y est-on parvenu ?
J'ai commencé à travailler sur cette question il y a plus de vingt ans. Mais ce fut le bicentenaire de la Révolution, en 1989, qui l'a mise pour moi au premier plan. Les précédentes célébrations
de la Révolution (1889 et 1939) avaient écarté la question coloniale. En 1989, tout cela est remonté à la surface : la Révolution française a proclamé les Droits de l'homme dès août 1789, mais
n'a pas aboli immédiatement l'esclavage. Il fallait expliquer la contradiction. C'est le livre d'Yves Benot, en 1987, La Révolution française et la fin des colonies, qui a marqué un tournant.
Pour ce qui concerne Pétré-Grenouilleau, j'ai avec lui certaines divergences qui n'ont rien à voir avec la procédure judiciaire pour négation de crime contre l'humanité, lancée principalement par
Patrick Karam, alors président d'un "collectif ultramarin" et aujourd'hui délégué du premier ministre pour l'outre-mer. Cette accusation portait sur un plan qui n'est pas historique. Mes
divergences relèvent de la légitime controverse historique, notamment sur la manière dont la synthèse proposée revient à mettre les trois traites négrières -intra-africaine, orientale et
coloniale européenne- sur le même plan alors que leurs durées et leurs conséquences ne sont pas de même nature. Des divergences portent également sur "l'argent de la traite", dont le rôle me
semble sous-estimé.
Beaucoup affirment que cette question de l'esclavage ne parvient toujours pas à être un objet d'histoire comme les autres.
Je ne sais si l'on peut utiliser l'expression "un objet d'histoire comme les autres", car, pour cela, il faudrait admettre qu'il y a des objets historiques froids, ce qui n'est pas fréquent...
Que l'on songe à la collaboration sous Vichy, à l'affaire Dreyfus, au massacre de la Saint-Barthélemy... Mais il est vrai qu'il est assez rare qu'une question d'histoire dégénère au point de
susciter une action en justice. Il faut préciser qu'on était en 2005, une année où la politique a beaucoup secoué le milieu des historiens en raison de la polémique sur la loi préconisant de
reconnaître "les aspects positifs de la colonisation française".
Vous dites vous-même que l'histoire de l'esclavage est peu connue, en quelque sorte un angle mort de l'histoire...
Il y a un paradoxe. Elle est peu connue du grand public et a été longtemps peu enseignée. Toutefois, la recherche savante est très importante. Si on se limite à la traite, un colloque qui a fait
date s'est tenu en France, à Nantes, dès 1985. Ensuite, il y eut les commémorations de la première abolition de l'esclavage, en 1994, dans le sillage du bicentenaire de 1789 ; surtout, il y eut
le grand mouvement qui a marqué l'année 1998, cent cinquantième anniversaire de l'abolition définitive décrétée en 1848. Un constat s'impose aujourd'hui : la transmission entre recherche et
"grand public" se fait de mieux en mieux. On note des changements dans les manuels scolaires et dans les directives de l'Education nationale. Le comité institué par la loi Taubira avait fait
valoir dans son rapport au premier ministre d'avril 2005 les retards de l'enseignement et, surtout, de la recherche institutionnelle. Par exemple, en 2002, lorsque nous avions organisé, notamment
avec Yves Benot, un colloque sur le rétablissement de l'esclavage par Napoléon et la naissance d'Haïti, le CNRS, auquel nous demandions une aide, nous avait répondu que ce sujet n'était pas une
priorité. Les choses ont beaucoup évolué.
Que pensez-vous de cette phrase de la romancière américaine Toni Morrison, Prix Nobel 1993 : "L'esclavage a coupé le monde en deux. Il a transformé les Européens, il les a fait des maîtres
d'esclaves. Il les a rendus fous" ?
C'est une vision d'aujourd'hui. Il faut rappeler que l'esclavage a été une pratique universelle, qui n'a pas été inventée par les Européens en 1492. Il y a eu des esclaves bien avant et il y en a
encore aujourd'hui. Mais de quand date la mauvaise conscience de posséder des esclaves ? Je ne cherche pas à sauver l'Europe à tout prix, mais force est de constater qu'elle date de la
Renaissance et de l'humanisme européen, dans la seconde moitié du XVIe siècle, chez Montaigne par exemple. La phase d'intensité maximale de la traite négrière, entre 1730 et 1830, vit l'essor de
l'anti-esclavagisme, construit sur une solide argumentation à la fois théologique, morale, philosophique et économique. Dès lors, le seul argument en défense utilisé peut se résumer ainsi :
certes, c'est barbare, mais on en a besoin si l'on veut du sucre, du café, des colonies riches, une balance commerciale excédentaire... Au début du XIXe siècle, la traite fut mise hors la loi,
mais l'esclavage résista encore plusieurs décennies, jusqu'en 1865 aux Etats-Unis, et même 1888 au Brésil. Toutefois, la marche vers l'abolition était lancée.
Photos Richard Dumas/Vu
pour "Le Monde"
"Les Traites négrières coloniales.
Histoire d'un crime",
sous la direction de Marcel Dorigny et Max-Jean Zins, présentation de Daniel Voguet. Ed. Cercle d'art, avec l'Association des descendants d'esclaves noirs et de leurs amis et la Caisse centrale
des activités sociales du personnel des industries électrique et gazière, 256 p., 130 documents en couleurs, 35 € jusqu'au 30 septembre, 50 € ensuite (en librairies le 30 avril).
Propos recueillis par Josyane Savigneau
Article paru dans l'édition du 25.04.09.
Malgré l'intervention de la Séor auprès des collectivités, l'hécatombe des pétrels de Barau victimes de l'éclairage public continue. A L'Etang-Salé, l'élu des Verts Vincent Defaud alerte en vain la municipalité sur ce problème.