Pourquoi me suis-je arrêté ? Arrivé à Saint-Pierre, j'ai prié pour rentrer avant la nuit afin de récidiver.
La tantine de la réception a été stupéfaite en lisant "Enfant Jean-Claude Jorgensen" (copié-collé du médecin-traitant). J'ai confirmé que j'étais un enfant. Rien à faire, elle était désolée. Alors j'ai compris que j'étais dans un hôpital au sens étymologique du terme, pas comme en métropole.
La tantine qui m'a récupéré à la sortie du tunnel du scanner était encore plus désemparée car je n'arrivais pas à me relever par mes propres moyens. 1/2 h allongé ds le tunnel avec mon gyroscope cassé, c'était couru plié, genre cosmonaute revenant dans une navette spatiale qui a eu des problèmes "allo Houston, nous avons un problème". ça ne me dérangeait pas mais elle m'a dit "ça doit être contraignant pour vous" et je l'ai consolée "meuh non, c'est une question d'habitude, je vis normalement" là aussi j'ai compris que je passerai mes IRM futures avec des couvertures péi, mignonnes de chez mignonnes.
Et puis entre Saint-Pierre et Saint-Louis, j'ai voulu aller jusqu'aux parties mouillées de la roche volcanique torturée depuis tant de milliers d'années par les flots déchaïnés. J'ai défié la furie océanique.
Est-ce que méditer, c'est se réciter "L'homme et la mer" de Baudelaire ? les pages dans lesquelles Chateaubriand raconte son quasi-naufrage en revenant d'Amérique ? Weithering Heights des soeurs Brontë ? Se réciter Lautréamont ? Pour moi oui, c'est bon d'affronter l'océan, de lui dire "à nous deux, on va voir ce qu'on va voir"
Isidore Ducasse, je te laisse la parole "Je te salue vieil océan"
"Oh! quand tu t’avances, la crête haute et terrible, entouré de tes replis tortueux comme d’une cour, magnétiseur et oulant tes ondes les unes sur les autres, avec la conscience de ce que tu es, pendant que tu pousses, des profondeurs de ta poitrine, comme accablé d’un remords intense que je ne puis pas découvrir, ce sourd mugissement perpétuel que les hommes redoutent tant, même quand ils te contemplent, en sûreté, tremblants sur le rivage, alors, je vois qu’il ne m’appartient pas, le droit insigne de me dire ton égal. C’est pourquoi, en présence de ta supériorité, je te donnerais tout mon amour (et nul ne sait la quantité d’amour que contiennent mes aspirations vers le beau), si tu ne me faisais douloureusement penser à mes semblables, qui forment avec toi le plus ironique contraste, l’antithèse la plus bouffonne que l’on ait jamais vue dans la création: je ne puis pas t’aimer, je te déteste"
J'étais en train de rêver quand Poseidon a mis fin au scandale. Une énorme vague m'a enveloppé et douché, j'ai juste eu le temps de mettre l'appareil photo au fond de ma poche.
JC
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