champs de canne au-dessus de Trois-bassins lundi 22 juin
Jules Bénard, l'homme aux 99 recettes
CLICANOO.COM | Publié le 19 avril 2009
S'il est un connaisseur de la vie en général et du rhum en particulier, c'est bien Jules Bénard. L'homme multifacettes (enseignant à Madagascar et Mafate, journaliste, historien, romancier, chargé de communication à la mairie de Saint-Pierre) s'est fendu il y a une dizaine d'années d'un petit livre qui compile "99 recettes" de "Punchs, rhums et cocktails de l'île de la Réunion". A l'époque, une demande du photographe et éditeur Noor Akhoun, un ouvrage chic et informé mais aussi et surtout l'occasion pour l'auteur de s'amuser à maintes reprises. Car Jules Bénard est allé pêcher quelques recettes de derrière les fourrés qui invitent autant à la dégustation qu'à la... gaudriole. Comme ce terrible "rhum camaron" que Jules Bénard nous décrit comme "le plus aphrodisiaque qui soit". A côté, ajoute-t-il doctement, "le Viagra est un aimable remède de bonne femme". Et après ce rhum-là, "il vaut mieux que vous ayez trois jours devant vous". Pour le réaliser, c'est simple : "Vous remplissez un verre de rhum et vous prenez un camaron de rivière vivant [crustacé], ce qui n'est plus facile à trouver de nos jours. Vous trempez le camaron dans le verre tête en bas. Il va dégager une sécrétion, qui va se mélanger au rhum. Vous ressortez le camaron, vous buvez... et vous ne tarderez pas à en ressentir les conséquences". Beaucoup plus romantique, le rhum préféré de Jules Bénard est une création d'un certain Lucien Aouchèche, "qui était venu à Miel Vert au milieu des années 80. Il avait remporté le titre de meilleur barman du monde et avait composé un rhum qui se résume facilement en termes de dosages : c'est 4+3+2+1, ce qui fait exactement 10 doses. Vous prenez donc quatre mesures de nectar de mangue et fruit de la passion, trois mesures de rhum charrette, deux mesures de Cointreau et une mesure de liqueur d'abricot". Le résultat est "si délicieux", selon Jules Bénard, qu'il lui a donné le prénom de sa fille, Mikala. Reste que Jules Bénard n'est pas un "intégriste" du rhum arrangé. Selon lui, "toutes les recettes sont permises, avec sucre, avec miel, avec rien du tout. Ou encore, avec un peu de citronnelle. Certains adorent".
D.C.
"Le rhum-charrette est une construction artificielle"
CLICANOO.COM | Publié le 19 avril 2009
Pour Jules Bénard, le rhum-charrette ne représente pas exactement la véritable histoire du rhum réunionnais. "C'est une construction artificielle, un mélange de plusieurs rhums dans le but d'obtenir une qualité constante et satisfaire ainsi l'exportation. Mais par le passé, chaque usine fabriquait son propre rhum, avec des goûts différents, des saveurs bien distinctes". Il raconte ainsi l'époque des "dépôts de rhum" qui se trouvaient dans toutes les villes de l'île. "Ces commerces, tenus par des fonctionnaires d'Etat, en l'occurrence du service des contributions, proposaient des rhums de toute l'île conditionnés en fûts. Vous arriviez avec vos bouteilles et vous demandiez trois litres de ceci ou un lire de celà". Sachant que les rhums étaient plus ou moins cotés, selon leur valeur gustative. Selon Jules Bénard, "le plus couru était le rhum de Grands-Bois, devant celui de la Rivière-du-Mât". En revanche, Jules Bénard reconnaît que le rhum du Gol, pourtant produit par son grand-oncle Léonus Bénard (également sénateur-maire de Saint-Louis) n'avait pas si bonne réputation. "C'est pourquoi l'essentiel de cette production était vieilli en fûts pour devenir l'un des meilleurs rhums vieux de la planète. Les meilleurs producteurs d'Armagnac de métropole ne tarissaient pas d'éloge sur ce rhum du Gol".
S'en tenir au musée de Stella Matutina pour se faire une idée de l'avenir de la culture de la canne à sucre à La Réunion ne suffit pas. Lorsqu'on lit la presse locale pendant 6 mois, on se rend compte que la mondialisation nourrit beaucoup de craintes sur l'avenir de la filière canne. Certains présentent le recul de cette culture comme inévitable :
La part des terres cultivables consacrée à la canne (26000 ha sur les 45000 ha de la surface cultivable) serait trop élevée. Le prix du m2 empêcherait de construire des logements et des routes alors que le taux de natalité est élevé et que les embouteillages font rage
Les prix mondiaux et la concurrence de la betterave empêcheraient à l'avenir le sucre réunionnais d'être compétitif
Mais la majorité des rényonés, attachés à leur canasuc, misent sur la qualité du sucre de canne réunionnais et des produits dérivés. La canne fait partie de l'identité réunionnaise, elle représente 17000 emplois. L'objectif est de passer à 50000 ha cultivables dont 30000 en cannes. La sucrerie de Gol (St-Louis) et celle de Bois rouge traitent chacune environ 1 million de tonnes de canne. [Production mondiale de sucre autour de 160 millions de tonnes (gros exportateurs : Brésil, Australie, Cuba, Thaïlande)]
Voici un résumé du gros dossier de la revue Témoignages qu'on trouve dans le site de cette revue :
Pendant plus d'un siècle, on a privilégié la valorisation de la canne en fonction des besoins de l'Europe. Aujourd'hui, les planteurs ne bénéficient pas d'un juste prix des richesses tirées de la vente du sucre et des produits dérivés de la canne. C'est pour répondre aux exigences de l'OMC que l'Union européenne a décidé en 2006 de baisser le prix du sucre. A compter de 2009-2010, cette baisse est de 36% par rapport au prix de 2006. D'où la décision de l'UE et du gouvernement français de venir en aide par des subventions (l'Etat peut subventionner jusqu'à 90 millions d'euros par an les filières cannes de La Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe). Ces aides sont assurées jusqu'en 2014. Mais l'OMC continue sa pression pour qu'après 2014, ces subventions soient définitivement supprimées. L'Europe et la France céderont-elles ?
Au cours des dix dernières années, avec la valorisation de la mélasse et de la bagasse, les gains de productivité ont davantage profité aux usiniers qu'aux planteurs. L'Economie de La Réunion datée du 4ème trimestre 2002 évaluait ainsi la productivité de la filière en 1998 : 80% viennent des sucres (vrac et spéciaux), 10% la mélasse (le rhum) et 6% la bagasse (qui fournit 1/6ème de l'électricité consommée sur l'île). Or, pour ces deux derniers produits, le planteur ne touche rien ou pas grand chose.
La canne à sucre offre des possibilités qui restent à valoriser à La Réunion : papiers, cartons, isolants thermiques, panneaux agglomérés, films, textiles, culture de micro-organismes
(levures, bactéries...), acides, plastifiants, revêtements protecteurs ou adhésifs, cosmétiques, cires, graisses, bioéthanol, fertilisants et herbicides biologiques.
Machine à vapeur Corliss
constructeurs : Compagnie Fives-Lille
Année 1925
diamètre 910 mm
puissance 12000 cv
vitesse 60 tr/mn
course 1520 mm
pression d'admission 8 bars/190°C
contre pression 0,6 bar
La visite du musée de Stella Matutina à Piton Saint-Leu commence par ces machines à vapeur qui fonctionnaient pendant la première moitié du XXè siècle.
Au cycle annuel culture-coupe-extraction du jus de canne-sucre se superpose une histoire qui va du moyen
âge à 2009.
les européens découvrent la canne lors des croisades en Palestine
tout au long du moyen-âge ils transforment les îles méditerranéennes en "îles à sucre"
ce sucre que l'on nommait alors "poudre de Chypre"
miniature du XVè encre et gouache Modène Italie
Dans deux mois (à l'approche de Noël), un album d'Astérix (le grand fossé) sera disponible en créole des Antilles. La version en créole réunionnais semble donc inévitable. On n'arrête pas le progrès.
photo éditions clin d'oeil
Ce soir, invité chez mes voisins pour l'apéro, j'ai dit : « mi donne zu de frui a ou » en arrivant. Mais pour vous faire déguster la saveur de la langue créole, mieux vaut que je recopie un passage d'un bouquin très beau, intitulé canna criola texte d'olivier soufflet, photos (magnifiques) de françois-louis athénas 2001 océan éditions Saint-André.
C'est l'interview d'un planteur de Saint-Louis (à 15 kms de chez moi) en 2000. Il avait alors 58 ans (mon âge actuel) et ses fils étaient aussi agriculteurs.
Les cannes paraissent hautes. Sont-elles mûres ?
-- Non, pas encore, y faut attendre, répond Joseph Turpin
-- Combien de temps ?
-- Juillet, août (nous sommes au mois de juin)
-- Quelle surface avez-vous ?
-- 200 gaulettes (deux hectares et demi)
-- ça fait quelle production ?
-- disons 160 tonnes. Mais nous fait pas rien que la canne. Si ous faisait rien que ça même, nous gagnerait 220/230 tonnes
-- quelle variété de canne cultivez-vous ?
-- Nous, créoles, nous dit « canne violette ». Nous cultive la qualité y donne le plus de sucre, et que l'est plus fragile. Y casse mieux pour l'usine.
-- C'est vous qui coupez ?
-- Avec mon marmaille, oui. Mi coupe et mi charge à la main.
-- La coupe commence où ?
-- Du côté de la canne mûre (Joseph Turpin montre les cannes les plus proches)
Là, sur le bordage, la canne l'est un peu bas, mais en dedans la canne l'est jolie.
Mais nous l'est embêté cette saison avec les rats.
-- Combien coupe-t-on en un jour ?
-- A deux bougres, si la canne l'est jolie, jusqu'à sept ou huit tonnes.
Mais seulement pour couper, pas pour charger !
-- Combien pèse une canne à sucre ?
-- Un kilo environ
-- Pour le transport, vous faites comment ?
-- Mi transporte en charrette, avec un camarade. Un transport personnel l'est trop cher.
-- Vous transportez la canne dans une charrette à boeuf comme on le faisait dans l'ancien temps ?
-- Oui, l'est plus rentable. Sur un gros tracteur, nous peut porter douze tonnes, mais nous nana une seule prise de richesse. Alors qu'avec des petits voyages de deux tonnes et demie à 3 tonnes, nous nana 3 « rendements » de richesse par semaine.
-- Vous livrez tous les jours après la coupe ?
-- Nous gagne un quota pour la campagne, et des jours pour livrer.
-- Comment est calculé ce quota ?
-- Y dépend du tonnage que néna et de la durée de la campagne.
-- Vous êtes payé à la richesse en sucre et à la quantité : combien ?
-- Nous arrive à peu près à 260F la tonne
-- Il y a aussi des aides financières. Comptent-elles beaucoup ?
-- Sans les aides, nous gagne pu rien. Nous paye 60F la tonne pour couper, 50F la tonne pour le transport. L'argent que mi gagne avec la canne, c'est juste pour
partager.
photo edgar photographie XXIè 0262498023