"On a les meilleurs produits mais les politiques jouent sur deux tableaux. Ils ont un discours ici et des intérêts à Madagascar… Alors, tout est saboté !" En
matière d’exportation de letchis, Benjamin Elma le reconnaît lui-même : la situation l’énerve… Et il y a des jours où il est proche du découragement ! Mais l’amour de son métier finit
toujours par l’emporter. Du moins, pour l’instant. Cela fait une bonne vingtaine d’années que le Saint-Rosien exploite des vergers de letchis. Il va commencer à récolter dans une semaine. Des
tonnes de letchis qui s’écoulent, pour environ un tiers, à l’export. Le reste ? "Il y a une partie qui est vendue sur le marché local aux bazardiers, une autre partie au secteur
agro-alimentaire…". Sans oublier ce qui pourrit aux champs. Et ce n’est pas la plus petite quantité. Selon Benjamin Elma, président du GIE Réuni-Fruit, trois mille tonnes de letchis restent
dans les champs, faute d’écoulement.
SÉCURITÉ ET
CONSERVATION
La Réunion produit environ 8 000 tonnes de letchis par an. "Le letchi ne nourrit pas son homme", affirme-t-il, plutôt pessimiste face à l’avenir. L’agriculteur a
surtout les politiques dans son collimateur, surtout ceux qui ont des intérêts économiques et financiers à Madagascar. Il déplore le manque de volonté des politiques. "On a 450 techniciens
agricoles. Ce n’est pas la matière grise qui manque, c’est seulement la volonté de faire…" La Réunion en a exporté 192 tonnes en 2001, 292 en 2005 et 246 en 2007. "On exporte moins de letchis
qu’il y a une dizaine d’années", fait remarquer Benjamin Elma. Une situation d’autant plus inexplicable que les producteurs ont concédé des efforts en matière de conservation (le GIE
Réuni-Fruit a mis au point un procédé de conditionnement qui maintient la fraîcheur des fruits pendant de deux à trois semaines), de sécurité, de qualité (travail sur le Label Rouge)…
VENTES PAR
BALLOTS
Il y a deux semaines, la chambre d’agriculture a réuni les compagnies aériennes et les coopératives. Les besoins des uns et les disponibilités des autres ont été
étudiés. "On souhaite faire aussi bien que l’année dernière, et même arriver aux 250 tonnes", souligne Yannick Véloupoullé, chargé de mission "Qualité" à la chambre d’agriculture qui annonce
aussi "une grosse vague de letchis labellisés exportés". Cela fait environ dix ans que les exportations de letchis réunionnais stagnent autour de 200 tonnes par an, 300-350 en y ajoutant le
contenu des colis familiaux de fin d’année. À la Réunion, des vergers ont été plantés en nombre à la fin des années 1980. Les agriculteurs étaient encouragés par les subventions du conseil
général. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui déchantent. Au plus fort de la saison de production, fin décembre, le kilo de letchis se vend à un euro sur les marchés locaux. À ce prix-là, le
coût de la récolte est à peine couvert. De quoi déchanter en effet… Dans les champs, tous les letchis ne sont pas à maturité. Benjamin Elma commencera la cueillette dans huit jours. Chez
Raphaël Avice, associé-gérant de la SCEA Letchis, un groupement qui regroupe cinq producteurs de l’Est, on se donne encore deux à trois semaines d’attente avant qu’ils soient au point. Raphaël
Avice exploite depuis plusieurs années cinq hectares de terres en letchis sur le terrain qui mène à sa ferme-auberge, “Les Orangers”. Il produit entre trente et cinquante tonnes de fruits selon
les années. Cela fait dix ans qu’il exporte. Le reste de sa production est écoulé à la vente sur le marché local ou transformé… en letchis séchés (voir par ailleurs).Dans l’Est, les premiers
letchis de l’année ont fait leur apparition il y a plus d’une semaine sur les étals de marchands ambulants, à 10 euros le kilo. Le week-end dernier, ils se vendaient à 6 euros au marché forain
de Saint-André. Les amateurs achètent. Normal, quand on aime, on ne compte pas… "C’est toujours comme ça au début, mais après, ça va baisser !", promet un vendeur qui s’enthousiasme de la
bonne saison. On a déjà vu le kilo à un euro sur les tables de Noël et c’est tant mieux pour les consommateurs…
Juliane Ponin-Ballom
Une unité de conditionnement ? La stratégie d’exportation se heurtant aux limites des capacités aériennes, en fin d’année, la Cirest voulait surmonter
ces obstacles. Elle entendait "renforcer le pouvoir de négociation de la filière agricole avec les compagnies aériennes et faire des concessions à la grande distribution", admettait il y a
quelque temps Jean-Marc Nourb de la Cirest. La communauté de communes voulait également créer une unité de conditionnement et de transformation des fruits, visant à leur valorisation au-delà de
la courte période de récolte. La nouvelle équipe, que préside Philippe Leconstant, gardera-t-elle ce projet ? L’avenir nous le dira…
L’exportation de fruits menacée Les producteurs locaux d’ananas, letchis, mangues et fruits de la passion estiment que si rien n’est fait, l’exportation
connaîtra un rapide déclin dans les mois et années à venir. L’augmentation du coût des matières premières, la disparition de certaines aides à l’exportation jusque-là tolérées par l’Europe, les
incertitudes liées à la signature des prochains accords de partenariat économique (APE) entre les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) et l’Union Européenne sont autant de facteurs qui
fragilisent la production locale et la rendent de moins en moins compétitive face aux pays de la zone.
Écoulement dans les écoles Le développement de la commercialisation est possible selon Benjamin Elma, planteur à Bois-Blanc. "Comment les agriculteurs sont
capables de programmer leurs productions pour les exportations et ne pourraient le faire pour la consommation locale ?", se demande le président du GIE Réuni-Fruit qui plaide pour
l’écoulement quotidien de fruits locaux (letchis, ananas…) dans les écoles.
Des letchis séchés made in Réunion
La SCEA Letchis va encore exporter des letchis séchés cette année."On va commencer le séchage le 15 décembre, annonce Raphaël Avice. L’an dernier, on a exporté
mais ce n’était pas terrible. On est également partis en Bruxelles !", fait-il remarquer. Comme les pruneaux ou les raisins, ils serviront à des préparations en cuisine ou en pâtisserie,
ou encore pour des rhums arrangés. Grâce au concours du CRITT (Centre régional d’Innovation et le Transfert de Technologie), des essais ont été menés pendant trois à quatre ans. Le process a
été calé comme il se doit. Le principe est simple : le letchi est séché pendant deux à trois jours dans un four industriel à basse température (le secret de cette température est
jalousement gardé !). Une tonne de fruits est séchée par tournée. “Ça perd pas mal d’eau, environ 60 à 70%”. De 25 à 30 grammes initialement, le letchi ne pèse plus que 10 grammes. Une
étude de marché a également montré l’intérêt d’une telle transformation. L’associé-gérant de la SCEA Letchis le sait : “Il y a un marché potentiel au niveau du consommateur ”. Seul souci
aujourd’hui : l’apparence. Le fruit, une fois séché, est comme un letchi de plusieurs jours avec la peau noircie. Le travail pour trouver un packaging se poursuit. L’idée d’enlever la peau
est également étudiée. Le fruit séché serait alors présenté comme le pruneau ou alors le raisin sec. Les débouchés sont multiples : pâtisserie (gâteaux, tartes), rhum arrangé, plats…
L’industriel devrait également y retrouver son compte, notamment dans la fabrication de mélanges exotiques de fruits secs. Le groupement, qui avait envoyé des échantillons à des entreprises est
prêt depuis longtemps et travaille en partenariat avec un groupement de métropole. Après tout, on mange bien des raisins secs, pourquoi ne mangerait-on pas les letchis ? L’avenir s’annonce
plutôt optimiste. 90% des personnes interrogées dans le cadre de l’étude de marché ont affirmé, après avoir goûté au letchi séché, qu’elles étaient prêtes à l’acheter.