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8 décembre 2008 1 08 /12 /décembre /2008 20:02

Ce soir, Jupiter ne laissait voir que 2 satellites. La lune s’affiche toujours plus dodue de soir en soir, si bien qu’il faut se mettre en manuel et prendre la star au 1/1000 de seconde en raison de l’intensité lumineuse.



Joachim Du Bellay n’aurait pas désavoué ces deux poèmes d’exil.

 

Je suis d’ici et d’ailleurs

 

Entre ici et ailleurs

mon âme tangue

Ralé-poussé sans fin

D’un voilier qui cherche

Son port d’identité

 

Entre l’alizé et la mousson

Je joue

A pile ou face

Sur le kéraame de nos mémoires

Pour décoder nos racines

En errance

 

Dans mon ciel d’exil

Le cerf-volant multicolore

S’est mû en fier paille-en-queue

Et mon âme vavangue

Cherche le goût du ticou

 

Au cœur de mes ravines débridées

La mousson s’est frayé un ilet

Où chantent des sources-mères

Où se mêlent les murmures du pays-racines

 

Indianités, 1990

Idriss Issop-Banian

 

 

Qu’est apaisant l’exil

 

Le 26 octobre 1946

 

Qu’est apaisant l’exil, en la nuit tropicale,

assis sur la terrasse où la brise me tend

sa fraîcheur, les parfums exhalés des fleurs pâles,

et le bouquet lointain toujours évanescent

des étoiles… et je rêve aux continents perdus.

Là-bas un froid d’hiver a fait le ciel fragile

et l’espoir maladif d’un été disparu

enchante alors le cœur. Une coupe de neige

en silence effritée, enveloppe la ville.

Et qui ne cherche à fuir vers d’autres sortilèges ?

Est-ce l’exil ici ? A l’aurore j’ai fait

S’entrouvrir la corolle vierge du vanillier

Et j’ai vu dans le ciel d’un bleu frêle et parfait

Des vergers de letchis. Est-ce l’exil ici ?

 

La Croix du sud, 1985

Jean Albany

 

Comme vous ne trouverez pas grand-chose sur Jean Albany dans Wikipedia et que ses recueils de poèmes sont introuvables, je colle ici un article clicanoo de 2007 :

Jean Albany : Poète en créolie

CLICANOO.COM | Publié le 2 décembre 2007
On s’accorde à lui reconnaître le rôle d’initiateur de la modernité dans la poésie réunionnaise. Et, de ce fait, on ne peut plus l’oublier. Un poète, ça vit très très longtemps et le poète Jean Albany est toujours vivant. "Encore quelques lunes et je vais revenir", annonçait-il déjà. Il témoigne du renouveau de notre expression poétique.

Seul un biographe borné oserait affirmer que la vie de Jean Albany se termine le 26 octobre 1984", écrivait Daniel-Rolland Roche, dix ans après ce matin où la Réunion a appris avec émotion la disparition, survenue dans la nuit à 23h30 heure de Paris, de son poète. Oui, depuis, l’île n’a jamais oublié son fils : il est tout simplement parti en vavangue. Au cimetière de la Saline, peut-être que "(son) pauvre corps, fatigué de la nuit, sur la planche de chêne rugueuse d’ennui, a retrouvé repos, douceur et bon chemin", aux côtés de son père (parti sept mois avant lui) et de son aînée Raymonde. La Saline, village au "ciel indien"... Une de ses ancêtres "les plus directes" était une "Malbaraise de jadis", dont il gardait une photographie dans son album de famille... En 1951, paraît le premier recueil de poèmes de Jean Albany. Le titre commence par la dernière de l’alphabet, “Zamal” ! "Zamal, en patois créole, est le nom du Haschich, ou chanvre indien, herbe du rêve", explique-t-il. Sagittaire né le 4 décembre 1917 à Saint-Denis, l’auteur a déjà 35 ans et s’agite beaucoup à Paris, où il exerce en tant que chirurgien-dentiste (il a débuté rue Lepic avec Gabrielle Dupont, la grande dame de la Vallée à Saint-Pierre). Auparavant, il a publié quelques poèmes épars dans diverses revues dont celle d’Air-France... À l’âge de 20 ans, après le lycée Leconte-de-Lisle, ses parents instituteurs l’ont envoyé "à la métropole", entreprendre des études de droit et de chirurgie dentaire. Et il a quitté avec regrets son Saint-Gilles. Deux ans après, il est mobilisé et sert comme élève officier d’artillerie à l’école de Fontainebleau. C’est là que, l’esprit encore adolescent, enfiévré, il écrit ses premiers vers ("Amour oiseau fou", qui sera publié après sa mort). La guerre terminée, Saint-Germain-des-Prés exulte. Démobilisé, Jean participe à l’effervescence.

Dentiste artiste

Puis il peut effectuer un premier retour dans l’île natale, — retour par bateau, cela va de soi pour l’époque. Le récit de sa longue traversée à bord du "Ville d’Amiens" de novembre 1945 à janvier 1946 entre Marseille et la Pointe-des-Galets via Djibouti et Tamatave sera publié également après sa mort sous le titre "La croix du Sud". Il y rend compte de la vie au jour le jour à bord. Mais il s’ennuie sur son île et retourne en métropole, même si le voisinage des maisons de Paris lui semble si "déplaisant" qu’il ne s’y habituera jamais tout à fait. Plus tard, il saura apprécier son île ("Je suis ici pour goûter la volupté d’être dans mon île, de l’avoir retrouvée, d’avoir retrouvé mes parents, mes racines", dira-t-il. Ou : "Je suis comme un convalescent qui retrouve ses souvenirs. Le spectacle de la vie, la beauté de la nature, sa générosité sous les tropiques, tout cela je veux le ranger, je veux le classer"). Pour l’heure, ses fréquentations de là-bas lui manquent peut-être. Il reprend ses études et obtient une licence de droit et un doctorat d’économie politique. Il poursuit celles de chirurgien-dentiste, passe deux ans à l’Institut d’économie politique de Paris et anime des groupements d’étudiants d’Outre-mer. À Paris, autrement dit en exil, Albany écrit beaucoup. Il crée, stimulé par ses rencontres à Saint-Germain-des-Prés, avec des gens célèbres ou pas. Il fréquente les grandes figures de l’après-guerre. Audiberti, qui lui a conseillé de "parler avec les mots de l’île". Les Signoret, Gérard Philippe, etc. Inspiré par la nostalgie de l’île natale, il essaie de retracer par la magie des mots créoles les couleurs et les parfums exotiques, écrira-t-il plus tard au dos de son 33 tours “Jean Albany dit par Jean Albany”. "Zamal" n’a pratiquement pas eu d’écho dans l’île. Il faudra attendre encore une bonne génération pour que les écrivains et poètes de la prolifique décennie 1970 voient en lui un précurseur et le glorifient comme leur initiateur. La plaquette sera rééditée en 1980. Entre-temps, il a obtenu le Grand prix littéraire de la Réunion pour son second recueil, “Miel vert”, paru en 1963. Il y “découvre Paris, la solitude, son angoisse devant Dieu et la vie.” Une angoisse, écrit son compatriote le critique Hyppolite Foucque, qui “teinte parfois de mélancolie ses chants harmonieux.”

En vavangue

Et son premier livre en créole, “Bleu mascarin”, poèmes et chansons, est sorti en 1969. Après "Outremer", sorte de carnet de retour au pays natal. Et après "Archipels", récit de voyage en poèmes et proses évocatrices ramenés de cette Grèce qui l’envoûta. Car, le poète aime les voyages. Dans les pays méditerranéens : Espagne, Algérie, Italie et Grèce. Il revient aussi régulièrement dans l’île, où il ne tardera pas à être reconnu. "Alors dis à moin : quoça qu’un bougr’qu’l’a retrouv’son pays, son famill’, son dalon y peut demand’de plus su’la terre ?" En 1974, en grand défenseur de la langue créole, il publie son fameux “P’tit glossaire, le piment des mots créoles”, que précède “Vavangue”. C’est d’ailleurs dans ce recueil de 1972 qu’il emploie le mot "créolie" : "Je vis en créolie. Je perçois outre l’odeur de l’embrun celle de la fumée d’un feu de bois (...)". Le mot sera vite repris. Suivront “Bal indigo”, “Fare fare”, “Percale”, "Indiennes" et quelques autres recueils. Cette fois, on parle de lui dans l’île : il a laissé parler son île et sa langue. Le poète est reconnu. Grâce au créole qu’il a privilégié comme langue pour son expression poétique. "Pourquoi j’écrivais en créole cafre ? En fait, je sue sang et eau sur chaque mot, pour rester le plus près à la fois de mes souvenirs, de ceux des autres, de la logique et des caprices de la phonétique." Alors que, jusque là, "il n’était pas question d’écrire en créole”, reconnaîtra-t-il dans un entretien au "Quotidien" en 1978. Il a écouté le conseil du greffier poète Audiberti ! Il devient un des auteurs phares de la Réunion. Sous l’impulsion d’Alain Gili, l’Association des écrivains réunionnais diffuse ses oeuvres, enregistre la cassette “Chante Albany”, qui propose des textes mis en musique et interprétés par quelques artistes marginaux comme Alain Péters, Pierrot Vidot, Jean-Claude Viadère, Jean-Michel Salmacis, Hervé Imare, etc. Dès lors, l’île ne l’oubliera plus. Car, un poète, ça ne meurt jamais, ou bien, ça vit très très longtemps ! Et si Jean n’est plus, la fondation qui porte son nom a été créée, avec pour but de promouvoir son oeuvre aux multiples facettes. Une oeuvre qui constitue un véritable trésor qu’on n’a pas fini d’inventorier, riche de photographies, de dessins et peintures, de revues, d’articles de journaux, d’enregistrements sonores, d’une abondante correspondance, de manuscrits inédits, etc. Un trésor de quarante années de vie du poète. "Partout où je suis passé j’ai planté, j’ai tenté de planter quelques graines venues de mon île natale, dans l’espoir qu’elles témoigneront mystérieusement de mon passage..." Et “presque rien n’a été jeté. Même les enveloppes vides, les fleurs séchées, les mèches de cheveux, ont été conservés”, nous confiait sa veuve, Sylvie. Au passionnant “jeu de patience”, le tri a déjà permis de mettre au jour des bouts de poèmes sur des bouts de nappe de restaurants, plusieurs variantes de mêmes textes, différentes frappes de mêmes manuscrits, revues, corrigées, annotées, des maquettes de pochettes de disques ou de couvertures de livres, etc. Un travail de fourmi, pour ne pas dire de bénédictin, qui attend d’être informatisé. Sylvie Albany souhaitait “faire participer la population et pas seulement l’élite universitaire” au fonds documentaire, pour sauver le travail pictural du peintre, dessinateur, illustrateur, photographe que fut son touche-à-tout de mari. Elle souhaitait entre autres dévoiler ses aquarelles illustrant son recueil “Voir Stamboul” toujours inédit, — tout comme “Archipels 2”. Vœu pieux ou... ?

Sulliman ISSOP sulliman@jir.fr Photos D.R. & S.I.

Ils ont dit

• Boris Gamaleya : "Puisque l’île était ailleurs, l’Aventure ne pouvait commencer que par un retour. Il fallait bien que ce jour vienne : l’autre terme du Sud ("Et j’ose te dire Gloire, Gloire à toi, île de gloire…"). Ce souffle nouveau, on le sait, ce 1848 poétique, fut un nom : Jean Albany, un titre : "Zamal", une date : 1951. Le bout du monde se faisait début du monde." (Préface à "Amour Oiseau fou")

• Alain Lorraine : "Lorsque j’ai rencontré Jean, il était blessé par certaines critiques sur son "passéisme". À vrai dire, son statut de barde officiel de la créolité, pendant les années 50/60 avait fait écran et nous dispensait, un peu trop facilement, de bien mesurer l’apport original de ce grand créateur. Tout cela heureusement se dissipa vite. Jean accepta une certaine remise en cause et sa passion pour la langue créole, lemaloya, les racines culturelles de la plantation donna un nouveau souffle à ses ouvrages. Il nous apporta aussi beaucoup."

• Anne Cheynet a habité le “fare-fare” de Jean Albany à la Saline. Pour la poétesse saint-pierroise, “la poésie de Jean, comme sa peinture, est un chant à la vie, un chant plutôt joyeux. Ça me fait penser à un vol de papillon dans les premiers rayons du jour, un papillon qui goûte à tous les parfums, acides, suaves ou amers... Comme c’est souvent le cas pour toute poésie, les poèmes d’Albany gagnent à être dits. On ressent alors parfaitement cette musique aux notes de fugue qui nous fait voyager comme un promeneur heureux dans le kaléïdoscope enchanté des senteurs, des couleurs, des visages de notre île.” Anne confie aussi que le poème de Jean qui l’a le plus marquée, c’est “Unicité” : “C’est un vrai fonnkèr (un fonnlam, plutôt), une sorte de méditation sur le sens de l’être...” Lorsqu’elle a appris sa disparition de Jean Albany, Anne a écrit un poème,“À Jean, poète”, qu’elle n’avait jamais montré avant de nous le confier, fin 2002. Extraits : “Poète en allé / Dans le creux de nos coeurs / Tu laisses des mots / Petits bonheurs / Des perles, des diamants / Sourires de ton âme d’enfant.../ Poète en allé / Tu nous as laissé / Tes rêves esquissés / Couleurs de ton âme d’enfant.../ Je me souviens / C’était au couchant / Quand je l’ai vu / Troubadour revenu / Sur la plage d’enfance... / (...) Quand je l’ai vu / C’était un soir / Un oiseau de mer / Échoué sur la plage / Pleurait vers le grand large... / Nous nous taisions / Nous le regardions.../ Soudain, dans un grand vol blanc / Les voyageurs du ciel / Son arrivés / L’oiseau, joyeux, s’est envolé / Vers ses frères retrouvés.../ Je me souviens / Quand je l’ai rencontré / Nous avons un peu parlé / De quoi, vous me le demandez / ... De beauté !”

• Francky Lauret, écrivain, poète, journaliste : "Jean Albany, peintre et poète, est reconnu comme celui qui a ouvert la voie au mouvement créoliste réunionnais avec la publication de son premier recueil en 1951, intitulé "Zamal" (mot créole pour cannabis). Tous les écrivains de la créolie (Sam-Long, Gilbert Aubry, etc) revendiquent un lien de parenté à sa poésie nouvelle. En 1974, dans le "P’tit Glossaire", il essaye de mettre en valeur "le piment des mots créoles". "Bleu indigo", "Fare Fare", "Percale" poursuivent l’écriture nostalgique des scènes de vie réunionnaise en quête d’authenticité. Autre recueil marquant, "Vavangue", du nom du fruit — la vavangue — mais aussi du verbe vavanguer qui peut signifier marronner en un sens plus agréable.

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5 décembre 2008 5 05 /12 /décembre /2008 21:33
CHANT III

au Port
            ma mère
                           cette moitié de ciel
selon le grand timonier
se levait tôt
                    le matin
pour voir si les étoiles
scintillaient
                     dans la nuit noire
de la chambre endormie
et ses caresses
                              à la rosée du matin
étaient de l'ambroisie
                                       donnée
aux plus sages de tous


ô Port
                        vavangue
en cette moitié de ciel qui s'étire
loup-couru
                        entre les wagons
dans le chantier du CPR
errance folle
                         plus folle que galaber
avec par-dessus nos têtes
l'hirondelle solitaire
                                   tournoyant
comme le pauvre du vendredi

Pointe et Complainte des galets, 1988
Patrice Treuthardt

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4 décembre 2008 4 04 /12 /décembre /2008 17:26

Et si je te disais


Si je te disais

Ton visage de demain

Gravé à la cime de nos Pitons

Nos trois Cirques marrons

Se donneront la main pour fêter

Ton retour à la terre

Ton retour à la sueur

Ton retour au sang de tes veines

Ton retour à la femme tendresse

Qui se réveille à quatre heures du matin

Pour préparer ton repas du jour

Sur le feu de bois

Sur le feu d'amour

Tandis que le dernier-né sommeille encore

Dans la chaleur de son corps

Evanoui dans la nuit

Des clairs matins

Le coeur crépite à l'aube du jour nouveau

Le regard flamboie

Les mains se réveillent au galop

Se jettent à l'assaut

Des gestes familiers qui font danser

Le soleil en son reposoir

Car seul le couchant ramènera tes pas

A ta case le soir


Si je te disais

Réunionnais

Petits Blancs des Hauts

Malabars de Champ-Borne et de Grand-Bois

Cafres du Littoral accidenté

Z'arabes des villes et des mosquées

Chinois de la rue Sainte-Anne des quartiers

Zoreil de la Métropole créole

Si je vous disais

Votre visage de demain

Scellé dans le ciment de l'Atome

A votre courage

A vos sourires

A vos ancêtres

A vos racines iliennes

Qui n'ont pas oublié la terre de vos mains

Vous vous reconnaîtrez à votre âme

Comme un père reconnaît son fils

Comme la mère reconnaît son chant

Comme le temps naît au beau temps

Comme l'avenir se bâtit au présent

Vous vous reconnaîtrez mille mains

Car il n'est pas d'autre chemin


Si je vous disais

La parole entendue

Le souffle du lagon

Nous danserons au pays des Cirques

Ils se réveillent sous nos pas

Et grandissent dans nos combats

Nous les ferons courir du sud au nord

Des îles aux continents

De l'orient à l'occident

Car nous serons ce rêve éveillé

Qui féconde le monde

Ce cyclone libéré

Qui laboure le ciel

Aux cris des bâtisseurs éternels


En avant âme frangipane

En avant en amont des cascades

En avant amants d'une île

Qui nous ouvre ses flancs

Pour de libres épousailles

En avant flamme océane

Nous ferons chanter la rose des bois.


Le Cri du lagon, 1981

Jean-François Sam-Long

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3 décembre 2008 3 03 /12 /décembre /2008 17:36

Romans émigré


Mon kér i fé pa vativien

Si boulvar Saint-Germain

Li grinp dann santié kabri

I sava si Taïbit

Mil foi mil foi mié vo

De vin fré dan lé o

Kan k savat dé doi la rès devan la port

Ke la nos emigré

Dann péi malizé


Mon kèr i ronn pa

Dann sinéma Paris

Li asiz an roi

Dan la kavérn Dekot


Rann

Mon lodér brann

Kann k briyar i lèv

Kan k la klos boi d ranpar

I sone pa po la mor

Epi kan k vié Picard

Devan volcan i rèv.


Mon kér i fé pa vativien

Si boulvar Saint-Germain

Li grinp dann santié kabri

I sava mon péi.


Romans po détak la lang Démay le ker, 1983

Axel Gauvin

 

 


traduc approximative


Romance émigrée


Mon coeur ne parade pas

sur le Bd St-Germain

il gravit le sentier des chèvres

il s'en va au col de Taïbit


mille fois, mille fois mieux vaut

le vin frais des Hauts

quand les savates sont restées devant la porte

que la noce émigrée

dans un pays mal aisé


mon coeur il ne rentre pas

dans les cinémas parisiens

il s'assied comme un roi

dans la caverne de Cotte


Où est

l'odeur des brandes

quand le brouillard se lève

quand les cloches du bois de rampart

ne sonnent pas le glas

et puis quand le vieux Picard

rêve devant le volcan ?


Mon coeur ne parade pas

sur le Bd St-Germain

il gravit le sentier des chèvres

qui conduit au pays


Né en 1944 à Saint-Denis, Axel Gauvin est agrégé de Sciences naturelles (ENS St-Cloud). Son essai Du créole opprimé au créole libéré paru en 1977 n'a pas pris une ride (si ce n'est que 2 nouvelles graphies du créole sont venues compliquer la mise, la 83 en KWZ et la 2001 dite tangol, j'en parlerai une autre fois). Son premier roman Quartier Trois lettres (1980) a pour cadre Saint-Leu et tresse la langue française et la langue créole. Pour l'instant je n'ai trouvé que la version entièrement en créole (écrite après) en librairie. L'Aimé (1990) a été finaliste au Goncourt. Axel Gauvin publie aussi des recueils de poèmes (Lamour kivi 2002), des pièces de théâtre et des traductions en créole (La Bible, Tintin et textes publiés dans la revue Nout lang). Il enseigne actuellement à l'IUFM de Saint-Denis.
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2 décembre 2008 2 02 /12 /décembre /2008 19:09

Mon île-fougère


Mon île, arbre de poésies

Qui dresse ses branches basaltiques

Vers notre ciel indien de vie,

Elle sent les parfums des tropiques.


Mon île-fougère des ethnies,

Peuple Coromandel et Surate,

Pays de l'Androy, noir paradis !

Bretons dans le cirque de Mafate.


Mon île, arbre de poésies,

Désirs de Parny et du Parnasse,

Regrets de Dierx et la nostalgie

D'un Lacaussade transi qui passe.


Mon île, vieil arbre folklorique

Aux fruits d'ébène du maloya,

La sueur du caïambre typique,

Du bobre aux accents des parias.


Le rouleur qui épouse la transe

D'un passé qui remonte en mémoire,

Comme les laves et cendres denses

De ces volcans assoiffés d'espoir.


Mon île, vieil arbre folklorique

Aux fruits apprivoisés du séga,

Madoré avec son grand soubique

Débordant de misère et d'arack.


Nos ségatiers épris de poussière,

Bal la robée, piment écrasé

Pour faire voltiger le zézère

Dans le ciel d'un pays envoûté.


Mon île, arbre artisanal,

Avenir crucifié des vacoas,

Où est donc la feuille de sisal,

Riche d'or et du miel vert des rois ?


Jours de Cilaos et nos dentelles,

Nos paille-en-queue tournent en rond

Pour avoir perdu leurs grandes ailes,

Si familières aux cris du vent.


Nos brodeuses aux doigts écorchés

Sur les écheveaux hardis du temps.

L'oiseau de la vierge a oublié

Le chemin des prières d'antan.


Ile, arbre de mélancolie

Aux mille pêcheurs acupuncteurs

Qui montent la garde chaque nuit

Sur le ventre ridé de la mer.


Ils murmurent avec les étoiles,

Ecoutent la rumeur océane;

Leur regard est un tramail que voile

L'éclat incertain d'un frangipane.


Ile, arbre de béton et d'acier

Aux cages de poc-poc éclaté

Sur les visages trop émaciés

Des hommes, violés par nos cités.


Il n'est plus de joie pour le lagon,

Déchiqueté et mis en lambeaux ;

Ensevelis les poissons d'argent,

Sous le sable où meurent des châteaux.


Il est quelques femmes aux seins nus,

Accrochées aux récifs de la mer,

Pour s'offrir aux chevaux éperdus

Et embrasser le ciel entrouvert.


Il n'est plus de gamins sur les routes

Pour vendre des arums et des prunes !

Prisonniers de leur âme en déroute,

Ils rêvent de décrocher la lune.


Il n'est plus de Cirques isolés,

Protégés par les tamariniers !

Mafate, Grand-Bassin, saccagés

Souvent par nos bottes araignées.


Il n'est plus de chasse aux Noirs marrons,

Il n'est plus de chabouc, de gibet,

Mais il est une île à élections

Qui se gagnent à coups de galets.


Ile Mascarenhas retrouvée !

La route des Indes sur le dos

Des mustangs portés par l'alizé.

Il n'est plus de chant pour les dodos.


Il n'est plus de vie pour les tortues

Marines ! Fossilisé l'espoir

De découvrir la trace perdue

D'un oeuf, pour recommencer l'histoire.


Valval, 1980

Jean-François Sam-Long



JF Sam-Long est né en 1949 à Sainte-Marie. Il a reçu le Prix de la Société des Gens de Lettres en 1994 pour L'Arbre de violence, le Prix Charles-Brisset en 1992 pour La Nuit cyclone, le Prix des Mascareignes en 1986 pour son roman Madame Desbassayns, le Prix de Madagascar en 1982 pour Terre arrachée. Il a créé une association d'écrivains, l'UDIR, Union pour la Diffusion de l'Identité Réunionnaise, ainsi qu'une maison d'édition et le mouvement Créolie. Il est actuellement Chargé de mission LCR (Langue et Culture Régionales) pour les collèges et lycées.


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30 novembre 2008 7 30 /11 /novembre /2008 03:11

voici la nouvelle étrange promise




Saint-Denis, la Possession, Saint-Gilles, Saint-Leu (où j'habite), le Gouffre, l'Etang salé, Saint-Louis, Saint-Pierre je fais cette route au moins une fois par semaine

j'ai déjà conduit une juvaquatre

j'étais dans le cimetière de Saint-Pierre mardi dernier

la saison cyclonique va commencer (décembre à avril)

des petits arrangements avec le ronm arrangé avaient été trouvés hier avec des amis sous ma varangue à l'occasion de mon anniversaire

je ne retrouve plus ma veste

j'espère que ça n'a aucun rapport


catherine vient de khataros (pur, exempt de souillure) et/ou de aikia (torture)




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24 novembre 2008 1 24 /11 /novembre /2008 19:01

O dock dock dock dock

et over-dock

bassins de jeux

de mon enfance

quelle sirène donc

s’est penchée

sur le ber de ma naissance

car

de port en port

de Saint-Pierre

jusqu’au Port

j’ai des algues marines

pour couche

et là

dans ma mémoire

j’habite une ville

qui vient de la mer

de haute mer


Le Port : sur cette commune, près de St-Paul, est le grand port de commerce de La Réunion

Ber : berceau (pour bébé) ; charpente sur laquelle repose un navire en construction


Patrice Treuthardt, Pointe et complainte des galets 1988



la solitude du guetteur de fond


je suis

celui

qui prend la mer

par temps de houle

qui rend la terre

par temps de foule

n’ayant pris

l’heure

avec personne

je n’aurai

de reproche

à faire

qu’à moi-même

en plein

océan

jadis

les nakhudas

firent leur baptême

de mer


Patrice Treuthardt, Les manèges de la terre, 1995



Pressentiment



Je saisis l’air du temps,

Les mains au creux des poches,

Du regret ne sentant

Que les vaines approches.


J’ai peur, seulement peur mon Dieu, d’un paysage

Qui dans ma chambre meurt depuis plus d’un octobre.

J’ai souvenir d’un ciel et des sanglots d’un bobre

Ou d’avoir vu, la nuit, ainsi qu’aux premiers âges

Leur tristesse qui dort étoilée en mes yeux…


Mon île était le monde et je dois y mourir


Mais si la pluie venait toute neuve des mers,

La pluie qui peut porter le ciel au fond des terres,

Saurait-elle baigner un front sevré d’averses

Et languissant d’exil, froide, le consoler,


Bobre, bobre, instrument de musique créole.


Zamal, 1951, Jean Albany


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2 novembre 2008 7 02 /11 /novembre /2008 16:26
Voilà un article de blog qui ne sera pas goûté par tout le monde mais tant pis. Je me suis rendu hier dans la ravine Saint-Gilles qui a inspiré Charles Leconte de Lisle pour son poème "La ravine Saint-Gilles" (Poèmes barbares) reproduit ici dans le post "un siècle et demi" du mercredi 17 septembre. Peu d'émotion certes, mais un sentiment d'immortaliser, de ciseler l'immuable, d'intimider et certains sites s'y prêtent.
Dans cette ravine Saint-Gilles, à 1 km de mon lycée, des tisserins font leurs jaunes allées et venues ; la fraîcheur, les fleurs, la végétation exubérante, l'eau courant entre les galets, la cascade, tranchent avec le vacarme de la ville natale du poète, toute proche.



Puis ce fut la visite de la partie basse de la ravine du Bernica. Encore plus calme (on n'y voit jamais personne), plus retirée (et pourtant à l'entrée de la ville de Saint-Paul), plus profonde. Des cardinals, des papangues, des hirondelles évoluent dans ce cadre grandiose










Le Bernica
Perdu sur la montagne, entre deux parois hautes,
Il est un lieu sauvage, au rêve hospitalier,
Qui, dès le premier jour, n’a connu que peu d’hôtes ;
Le bruit n’y monte pas de la mer sur les côtes,
Ni la rumeur de l’homme : on y peut oublier.

La liane y suspend dans l’air ses belles cloches
Où les frelons, gorgés de miel, dorment blottis ;
Un rideau d’aloès en défend les approches ;
Et l’eau vive qui germe aux fissures des roches
Y fait tinter l’écho de son clair cliquetis.

Quand l’aube jette aux monts sa rose bandelette,
Cet étroit paradis, parfumé de verdeurs,
Au-devant du soleil, comme une cassolette,
Enroule autour des pics la brume violette
Qui, par frais tourbillons, sort de ses profondeurs.

Si Midi, du ciel pur, verse sa lave blanche,
Au travers des massifs il n’en laisse pleuvoir
Que des éclats légers qui vont, de branche en branche,
Fluides diamants que l’une à l’autre épanche,
De leurs taches de feu semer le gazon noir.

Parfois, hors des fourrés, les oreilles ouvertes,
L’oeil au guet, le col droit, et la rosée au flanc,
Un cabri voyageur, en quelques bonds alertes,
Vient boire aux cavités pleines de feuilles vertes,
Les quatre pieds posés sur un caillou tremblant.

Tout un essaim d’oiseaux fourmille, vole et rôde
De l’arbre aux rocs moussus, et des herbes aux fleurs :
Ceux-ci trempent dans l’eau leur poitrail d’émeraude ;
Ceux-là, séchant leur plume à la brise plus chaude,
Se lustrent d’un bec frêle aux bords des nids siffleurs.

Ce sont des chœurs soudains, des chansons infinies,
Un long gazouillement d’appels joyeux mêlé,
Ou des plaintes d’amour à des rires unies ;
Et si douces, pourtant, flottent ces harmonies,
Que le repos de l’air n’en est jamais troublé.

Mais l’âme s’en pénètre; elle se plonge, entière,
Dans l’heureuse beauté de ce monde charmant ;
Elle se sent oiseau, fleur, eau vive et lumière ;
Elle revêt ta robe, ô pureté première !
Et se repose en Dieu silencieusement.
Poèmes barbares  Leconte de lisle

Pour qui voudrait partir sur les traces de Charles Leconte de Lisle dans Saint-Paul, à l'occasion du 150è anniversaire de la publication de ses Poésies complètes chez Poulet-Malassis (1858), en particulier vers sa maison natale, près du cimetière marin, il faut aller à l’angle des rues Saint-Louis et du Général-de-Gaulle, il ne reste plus que quelques marches de l’ancien perron. Une stèle en béton blanc avec une plaque noire signale qu’”Ici s’élevait la maison où naquit le poète Leconte de Lisle (1818-1894)”, surmontée d’une effigie. Dans la cour à l’abandon, un vénérable badamier et quelques autres arbres.
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13 octobre 2008 1 13 /10 /octobre /2008 17:09

merci à Laurent et à Christine de leur idée : relire Le Clezio

Du plus loin que je me souvienne, j'ai entendu la mer. Mêlé au vent dans les aiguilles des filaos, au vent qui ne cesse pas, même lorsqu'on s'éloigne des rivages et qu'on s'avance à travers les champs de canne, c'est ce bruit qui a bercé mon enfance. Je l'entends maintenant, au plus profond de moi, je l'emporte partout où je vais. Le bruit lent, inlassable, les vagues qui se brisent au loin sur la barrière de corail, et qui viennent mourir sur le sable de la Rivière noire. Pas un jour sans que j'aille à la mer, pas une nuit sans que je m'éveille, le dos mouillé de sueur, assis dans mon lit de camp, écartant la moustiquaire et cherchant à percevoir la marée, inquiet, plein d'un désir que je ne comprends pas.

Je pense à elle comme à une personne humaine, et dans l'obscurité, tous mes sens sont en éveil pour mieux l'entendre arriver, pour mieux la recevoir. Les vagues géantes bondissent par-dessus les récifs, s'écroulent dans le lagon, et le bruit fait vibrer la terre et l'air comme une chaudière. Je l'entends, elle bouge, elle respire.

Quand la lune est pleine, je me glisse hors du lit sans faire de bruit, prenant garde à ne pas faire craquer le plancher vermoulu. Pourtant, je sais que Laure ne dort pas, je sais qu'elle a les yeux ouverts dans le noir et qu'elle retient son souffle. J'escalade le rebord de la fenêtre et je pousse les volets de bois, je suis dehors, dans la nuit. La lumière blanche de la lune éclaire le jardin, je vois briller les arbres dont le faîte bruisse dans le vent, je devine les massifs sombres des rhododendrons, des hibiscus. Le coeur battant, je marche sur l'allée qui va vers les collines, là où commencent les friches. Tout près du mur écroulé, il y a le grand arbre chalta, celui que Laure appelle l'arbre du bien et du mal, et je grimpe sur les maîtresses branches pour voir la mer par-dessus les arbres et les étendues de canne. La lune roule entre les nuages, jette des éclats de lumière. Alors, peut-être que tout d'un coup je l'aperçois, par-dessus les feuillages, à la gauche de la Tourelle du Tamarin, grande plaque sombre où brille la tache qui scintille. Est-ce que je la vois vraiment, est-ce que je l'entends ? La mer est à l'intérieur de ma tête, et c'est en fermant les yeux que je la vois et l'entends le mieux, que je perçois chaque grondement des vagues divisées par les récifs, et puis s'unissant pour déferler sur le rivage. Je reste longtemps accroché aux branches de l'arbre chalta, jusqu'à ce que mes bras s'engourdissent. Le vent de la mer passe sur les arbres et sur les champs de canne, fait briller les feuilles sous la lune. Quelquefois je reste là jusqu'à l'aube, à écouter, à rêver. A l'autre bout du jardin, la grande maison est obscure, fermée, pareille à une épave. Le vent fait battre les bardeaux disloqués, fait craquer la charpente. Cela aussi, c'est le bruit de la mer, et les craquements du tronc de l'arbre, les gémissements des aiguilles des filaos. J'ai peur, tout seul sur l'arbre, et pourtant je ne veux pas retourner dans la chambre. Je résiste au froid du vent, à la fatigue qui fait peser ma tête.

Le Chercheur d'or, deux premières pages


Pour nous le ciel s'éclaire. Il faut tout oublier, et ne penser plus qu'aux étoiles. Mam nous montre les lumières, elle appelle mon père, pour nous poser des questions. J'entends dans le noir sa voix claire, jeune, et cela me fait du bien, me rassure.

« Regardez, là... N'est-ce pas Bételgeuse, au sommet d'Orion ? Et les trois Rois Mages ! Regardez vers le nord, vous allez voir le Chariot. Comment s'appelle la petite étoile qui est tout à fait au bout du chariot, sur le timon ? »

Je regarde de toutes mes forces. Je ne suis pas sûr de la voir.

« Une étoile très petite, posée en haut du Chariot, au-dessus de la deuxième étoile ? » Mon père pose la question gravement, comme si cela avait, ce soir, une importance exceptionnelle.

« Oui, c'est ça. Elle est toute petite, je la vois, et elle disparaît. »

« C'est Alcor, dit mon père. On l'appelle aussi le Cocher du Grand Chariot, les Arabes l'ont nommée Alcor, ce qui veut dire épreuve, parce qu'elle est si petite que seuls des yeux très perçants peuvent la distinguer. » Il se tait un instant, puis il dit à Mam, d'une voix plus gaie : « Tu as de bons yeux. Moi je ne peux plus la voir. »

Moi aussi, j'ai vu Alcor, ou plutôt, je rêve que je l'ai aperçue, fine comme une poussière de feu au-dessus du timon du Grand Chariot. Et de l'avoir vue, cela efface tous les mauvais souvenirs, toutes les inquiétudes.

C'est mon père qui nous a appris à aimer la nuit. Parfois, le soir, quand il ne travaille pas dans son bureau, il nous prend par la main, Laure à sa droite et moi à gauche, et il nous conduit le long de l'allée qui traverse le jardin jusqu'en bas, vers le sud. Il dit : l'allée des étoiles, parce qu'elle va vers la région du ciel la plus peuplée. En marchant il fume une cigarette, et nous sentons l'odeur douce du tabac dans la nuit, et nous voyons la lueur qui rougeoie près de ses lèvres, et éclaire son visage. J'aime l'odeur du tabac dans la nuit.

Les plus belles nuits sont en juillet, quand le ciel est froid et brillant et qu'on voit, au-dessus des montagnes de la Rivière Noire, toutes les plus belles lumières du ciel : Véga, Altaïr de l'Aigle – Laure dit qu'elle ressemble plutôt à la lampe d'un cerf-volant – et cette troisième dont je ne me rappelle jamais le nom, pareille à un joyau au sommet de la grande croix. Ce sont les trois étoiles que mon père appelle les Belles de nuit, qui brillent en triangle dans le ciel pur. Il y a aussi Jupiter, et Saturne, tout à fait au sud, qui sont des feux fixes au-dessus des montagnes. Nous regardons beaucoup Saturne, Laure et moi, parce que notre tante Adelaïde nous a dit que c'était notre planète, celle qui régnait dans le ciel quand nous sommes nés, en décembre. Elle est belle, un peu bleutée, et elle brille au-dessus des arbres. C'est vrai qu'il y a en elle quelque chose qui effraie, une lumière pure et acérée comme celle qui brille parfois dans les yeux de Laure. Mars n'est pas loin de Saturne. Elle est rouge et vive, et sa lumière aussi nous attire. Mon père n'aime pas les choses qu'on raconte sur les astres. Il nous dit : « Venez, nous allons regarder la Croix du Sud ». Il marche devant nous, jusqu'au bout de l'allée, du côté de l'arbre chalta. Pour bien voir la Croix du Sud, il faut être loin des lumières de la maison. Nous regardons le ciel, presque sans respirer. Tout de suite, je repère les « suiveuses », haut dans le ciel, au bout du Centaure. A droite, la Croix est pâle et légère, elle flotte un peu inclinée, comme une voile de pirogue. Laure et moi nous l'apercevons en même temps, et nous n'avons pas besoin de le dire. Ensemble nous regardons la Croix, sans parler. Mam vient nous rejoindre, et elle ne dit rien à notre père. Nous restons là, et c'est comme si nous écoutions le bruit des astres dans la nuit. C'est si beau qu'on n'a pas besoin de le dire. Mais je sens mon coeur qui me fait mal, et ma gorge qui se serre, parce que cette nuit-là, quelque chose a changé, quelque chose dit que tout doit finir. Peut-être que c'est écrit dans les étoiles, voilà ce que je pense, peut-être qu'il est écrit dans les étoiles comment il faudrait faire pour que rien ne change et que nous soyons sauvés.

Le Chercheur d'or, pages 48 à 50, folio

j'en profite pour donner le lien vers le site de mon amie Josiane pour ceux qui veulent en savoir plus sur Le Clézio et le prix Nobel :

http://rienquepourvous.over-blog.com/article-23574041.html

on peut ajouter le blog de Pierre asouline (9 octobre)

http://passouline.blog.lemonde.fr/

  remue.net

http://remue.net/spip.php?article2867

et la revue Lire de novembre (dossier très bien fait de 24 pages)


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12 octobre 2008 7 12 /10 /octobre /2008 05:12
Impossible, quand on vit et qu'on travaille à la Réunion, de ne pas saluer le choix judicieux du jury suédois qui vient de décerner le Prix Nobel de littérature à Le Clézio. Je l'ai cité dans le post filaos 2 du 24 septembre. Voilà un écrivain qui a, dès les années 70, su se détourner des sirènes du fric, de la bourse, des logiques du "moijesuilemeyeur dotan que je suis occidental".  Entre l'océan indien (d'où je vous parle) et les indiens d'amérique (que mon grand-père/parrain danois naturalisé américain et ma grand-mère née en argentine me le pardonnent), je ne choisis pas.
Quand on lit l' "hommage" du medef "au nom des entreprises françaises", on a un peu honte d'être français : "'il ne peut y avoir de prospérité économique sans richesse culturelle, c'est pourquoi, le Medef accueille avec une immense joie" le prix décerné à M. Le Clézio, "qui, comme personne, nous montre du doigt une parcelle du monde [...] il ne peut exister de véritable développement économique pour une société sans une vie culturelle foisonnante. Avoir de nombreux Prix Nobel devrait être une ambition collective clairement affichée" (dixit Laurence Parisot) © 2008 AFP

Nous ferons plus humble : merci pour tout Jean-Marie ! et simple copié-collé du Quotidien de la Réunion du samedi 11 octobre 2008. Dans l'isle de France, celle où Bernardin de Saint-Pierre situe l'histoire de Paul et Virginie, les journaux y sont trilingues : anglais-français-créole : l'avenir. Pendant que j'y suis : remercions remue.net de son engagement pour faire connaître la littérature contemporaine, en particulier malgache :
http://remue.net/spip.php?article2866
 
''L'île soeur fière de « son » Nobel de littérature « Maurice, je m'y sens chez moi » lance Le Clézio Le tout nouveau prix Nobel de littérature, Jean-Marie Le Clézio, n'a de cesse de répéter qu'il est certes français. Mais aussi mauricien. Quelques heures après s'être vu attribuer le prix Nobel de littérature, Jean-Marie Gustave Le Clézio, par la voix de son éditeur parisien -et également cousin- Philippe Rey, faisait passer ce message, au quotidien L'Express de Port-Louis : «  Je dédie ce prix Nobel à Maurice, pays qui m'a beaucoup nourri même si je n'y suis pas né. Mes parents, mes grands-parents m'en ont toujours parlé. C'est un des lieux que je préfère au monde, je m'y sens chez moi. Dans ce pays qui n'a pas beaucoup de ressources, on se démène pour la langue française qui est loin d'y être en déclin. C'est cette fidélité que je veux saluer aujourd'hui.
Selon Philippe Rey, l'île Maurice constitue un caractère « central » dans l'oeuvre de l'auteur. « Bien que Le Clézio soit venu à Maurice pour la première fois vers l'âge de 40 ans -il en a maintenant 68- son cousin raconte qu'il a été nourri par les histoires de famille de Maurice », précisait hier l'Express.
« Li enn gran gloir » ! D'après Philippe Rey, celles-ci sont à l'origine de sa « nostalgie d'un monde perdu », « il n'a cessé de le chercher dans d'autres civilisations, aztèque, maya, africaines... », reprend Philippe Rey.
« Après l'annonce du verdict du Nobel de littérature, la joie a gagné nos rives » lançait hier le quotidien port-louisien, cédant la parole à des écrivains mauriciens.
Tel Abhimanyu Unnuth, l'auteur de Sueur de Sang, enthousiaste : « Li enn gran gloir, Mo pe feel kouma dir se moi ki finn gagn sa » continue celui pour qui Jean Marie Gustave Le Clézio a préfacé son ouvrage Sueur de sang.
« Le plus important, ce n'est pas qu'il soit né ou pas à Maurice, ce qui compte, c'est ce qu'il a fait pour nous. Ena ekrivin ki impe orgeye ». Mais pas Le Clezio, selon Abhimanyu Unnuth. «  C'est lui qui m'a fait réfléchir sur les souffrances des immigrés indiens, parce qu'il a lui-même écrit sur la souffrance des gens. A la cérémonie de lancement, il a dit n'avoir pas lu de littérature aussi sincère aussi forte. Mo ti koir ant ekrivin, sertin kontan flat so kamarad, me apre monn kompran li ti sinser ».
Issa Agarally, co-ordonnateur du Prix Jean-Fanchette, -un prix littéraire mauricien dont le jury est présidé par JMG Le Clézio depuis quatre ans, -rappelle dans L'Express « que l'auteur a la double nationalité -française et mauricienne ». Et qu'il a tenu à avoir sa carte d'identité nationale mauricienne. Surtout, qu'il a beaucoup fait pour les écrivains mauriciens ». Notamment, en soutenant la romancière Ananda Devi, quand il figurait dans le jury du Prix Renaudot.''


Merci Jean-Marie d'avoir offert ton livre aux lycéens d'Evariste de Parny lors de ton passage. Il est lu.
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