Je veux dire mon émotion devant les photos de Willy Ronis (Hôtel de la Monnaie) et d'Irving Penn (Fondation Cartier-Bresson) fin juillet mais les albums confiés à Laposte il y a plus d'un mois n'arrivant pas, nous allons devoir nous contenter de photos de prospectus pour ne pas attendre davantage. Le tarif d'un colis de 30 kgs a doublé le 1er juillet, le temps d'acheminement aussi.
La photo est une aventure. Entre Olivier Mériel (plaques argentiques, temps de pose démesurés) et certains accros de Photoshop pro, le fossé se creuse. Comme l'animation d'un atelier photo m'a conduit à des questions déontologiques (non limitées à celles des droits), et comme mes élèves vont continuer à prendre des photos, j'en reparlerai. En attendant, je me permets de copier-coller l'essentiel d'un article du Monde de ce matin car il pose un grand nombre des questions nouvelles et essentielles que tout le monde a découvertes ces dernières années. Après Arles, Perpignan essaiera d'y répondre.
http://www.lemonde.fr/culture/article/2010/08/28/photoshop-seme-la-zizanie-dans-la-photo-de-presse_1403881_3246.html
Un nouveau cas de "fauxtographie" a frappé, en mars, le World Press, la plus prestigieuse distinction du photojournalisme au monde : Stepan Rudik, un lauréat dans la catégorie sport, était disqualifié pour avoir effacé, grâce au logiciel Photoshop, un pied dans l'arrière-plan d'une de ses photos. Retouche mineure. "Au World Press, les règles de la profession concernant Photoshop s'appliquent, répond Ayperi Ecer, présidente du jury. On ne peut pas enlever un objet de l'image, quel qu'il soit."
Cette affaire a animé les discussions sur Internet. D'autant que Stepan Rudik ne s'est pas contenté de gommer un détail disgracieux. Il a recadré la photo pour en faire un gros plan, a transformé le document couleur en noir et blanc, a ajouté du grain pour imiter un film argentique. Pour ces retouches-là, autrement plus criantes, il n'a pas été sanctionné.
Le cas Rudik illustre bien les problèmes auxquels est confronté le photojournalisme depuis l'apparition des logiciels de retouche d'images qui sont accessibles à tous, via l'ordinateur : quelques clics et vous modifiez le contraste, la lumière, les couleurs. Et s'il est aisé de déceler un objet ajouté ou retranché, il est bien plus compliqué de cerner, dans le cas d'un ciel bleu fluo, d'une lumière théâtrale, où commence la manipulation.
Or chez les photoreporters, les images aux couleurs éclatantes sont devenues légion. "Il y a une nouvelle génération qui fabrique les photos qu'elle aimerait voir au lieu de rapporter la réalité, confirme Ayperi Ecer. Sur les 100 000 photos examinées au World Press, environ 20 % sont exclues d'office car elles sont trop photoshoppées."
Ce débat sera abordé au festival Visa pour l'image, à Perpignan, qui s'ouvre samedi 28 août. Son directeur, Jean-François Leroy, est vent debout contre ce qu'il appelle l'"overphotoshopping " - l'abus de Photoshop. "Les photographes travaillent pour l'écran, en inventant des couleurs que les imprimantes sont incapables de reproduire sur du papier ! Quand les photos sont plus colorées que les publicités, on peut se poser des questions ! On est très loin de la réalité."
A partir de 2011, M. Leroy demandera aux photographes, avant de les exposer, leurs fichiers informatiques bruts et originaux, afin de les comparer avec les tirages. Une disposition déjà en vigueur dans certaines compétitions : en 2009, le photographe Klavs Bo Christensen a été exclu du concours de la Photo de l'année, au Danemark, pour avoir saturé les couleurs et contrastes d'images qu'il a prises à Haïti.
Le photographe Philip Blenkinsop, de l'agence Noor, est furieux quand il voit les couleurs splendides dans les magazines. "Ceux qui sont allés dans un camp de réfugiés savent que tout y est terne, délavé par le soleil. Il n'y a pas de couleur fluo. Quand la photo en montre, c'est un mensonge. C'est une insulte pour les réfugiés ! C'est comme si on leur disait que leur vie misérable n'est pas assez intéressante." Ce photographe, qui utilise l'argentique, ne s'autorise que des retouches mineures. "Une teinte vive est une excuse pour une photo qui n'est pas assez forte en soi. Résultat, toutes les photos se ressemblent : colorées, ennuyeuses."
Comment la retouche a-t-elle pu s'imposer à ce point dans le photojournalisme ? "Cela a commencé il y a dix ans, explique Ayperi Ecer, surtout chez les photographes scandinaves. Une nouvelle génération est influencée par la peinture, le cinéma." Ces photographes sont souvent bien accueillis par des journaux en quête de photos efficaces. Ajoutons une tendance. Des magazines réputés, comme Süddeutsche Zeitung Magazin, en Allemagne, lassés des images de presse répétitives, font de plus en plus souvent appel à des "artistes du documentaire" sur des sujets d'actualité. Dans le même sens, nombre de photoreporters font des incursions dans le monde de l'art, dont les critères sont souples en matière de retouche.
Le photographe Guillaume Herbaut s'inquiète de la nonchalance des jeunes. "J'ai eu en stage des étudiants d'école de photographie qui savent utiliser à la perfection Photoshop : pour redresser les perspectives, enlever des éléments. Ils ne font pas la différence entre la photo plasticienne et la photo documentaire ou le journalisme."
Le paysage est si brouillé qu'il devient impossible de fixer la frontière entre la créativité du reporter et la manipulation de l'artiste. D'autant qu'une bonne part des acteurs du photojournalisme reconnaît que la retouche, en soi, n'est pas dommageable. Bien avant l'apparition du numérique, les reporters travaillaient leurs images dans la chambre noire pour corriger les défauts - éclairer les zones sous-exposées - ou leur donner du relief. Et puis la retouche fait partie du style d'un auteur : des photographes respectés, comme Jan Grarup ou Paolo Pellegrin, ont fait du travail de postproduction un élément essentiel de leur démarche.
De nombreuses voix rappellent que toute prise de vue, en soi, est une représentation, et non un morceau de réel. Beaucoup de facteurs a priori techniques jouent leur rôle : le noir et blanc n'existe pas dans la réalité. Le flou, le flash, le contre-jour, ne sont pas plus "réalistes".
Le photographe Francesco Zizola, qui a monté une galerie adossée à un laboratoire, en Italie, est souvent accusé d'abuser de Photo-shop. Il va plus loin. "Les nouvelles technologies permettent une plus grande représentation de la réalité des couleurs. Si les couleurs ne nous apparaissent pas naturelles, c'est que nous sommes habitués à celles que nous voyons dans la presse ou ailleurs, depuis l'invention du Kodachrome en 1935. Mais les couleurs n'ont jamais correspondu à la réalité. L'objectivité de l'image photographique est un mythe."
Pour autant, Zizola trouve qu'il est encore possible de croire au témoignage du photojournaliste, qui s'engage auprès de son lecteur à ne pas altérer la réalité : "Il n'y a pas de mise en scène, pas le moindre ajout, suppression ou déplacement de pixels."Et il ne s'autorise aucune modification de la teinture.
En attendant, le débat sur Photoshop favorise la suspicion. Le photographe Kadir Van Lohuizen en témoigne : "Récemment, on m'a demandé comment j'avais obtenu une lumière qui venait par-derrière ; c'était une voiture qui avait allumé ses phares. Mais je passe plus de temps à justifier mes images qu'à parler du fond."
Visa pour l'image, à Perpignan.
27 expositions en plusieurs lieux de la ville. Tous les jours, de 10 heures à 20 heures. Entrée libre. Du 28 août au 12 septembre. Soirées-projection au Campo Santo, du 30 août au 4 septembre, 21 h 45. Tél. : 04-68-62-38-00.
"le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie"
photo Mathilde Bl, 7 mai, Tan rouge (hauts de St-Paul), Fujifilm finepix-1000fd, 1/125e, f11, 128asa
"LES POETES ONT LES YEUX GRAND OUVERTS 2è éd. Juin 2010
« Le meilleur compte rendu d’un tableau pourra être un sonnet ou une élégie »
Salon de 1846, Baudelaire.
Fort de son succès en 2008-09, l’atelier Photo-poésie du lycée Evariste Parny a continué de marier poésie et photographie en 2009-10. Chaque lundi de septembre à juin, François-Louis Athénas a répondu aux questions des élèves et nous avons bien profité de ses conseils et de son expérience de professionnel de l’art photographique.
Il nous a appris la patience. Consacrer une journée entière pour faire une seule photo, mais c’est très normal. La vitesse n’est pas une bonne chose pour créer. Nous lui devons des remerciements pour cette lenteur féconde, garante de réussite esthétique.
23 photographies seulement, le même nombre que l’an dernier. Mais en fait ce sont plusieurs centaines de photos qui ont été prises par la douzaine de lycéens inscrits à l’atelier, et seuls ont été retenus les photos-poèmes consensuels.
Presque toujours, le poème a été proposé par la photographe elle-même. Comme l’an dernier, un des poèmes a été écrit par une élève. Plusieurs photographes ont utilisé Photoshop ou Gimp2 avec bonheur.
Nous espérons que cette expérience vous procurera autant de plaisir qu’à nous.
Notre souhait : que cet atelier vive en 2010-11 pour que continue le dialogue entre poèmes et photos, pour que les façons de voir, de regarder, de créer continuent de se partager, pour faire parler le monde, pour aller à la rencontre des autres"
C'était aujourd'hui le vernissage de l'atelier photo-poésie animé par François-Louis et moi depuis septembre. En présence de l'élue culture de la municipalité de St-Paul, de la chargée de mission pour les ateliers culturels au rectorat, de madame la Proviseure, d'Euphrasie-Framboise etc. Quelques photos pour vous aider à vous représenter les choses
photo Mathilde Bo.
Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
– On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile :
– Un chant mystérieux tombe des astres d'or.
Ophélie, Rimbaud
La Guitarra
Empieza el llanto
de la guitarra.
Se rompen las copas
de la madrugada.
Empieza el llanto
de la guitarra.
Es inutil callar la.
Es impossible callar la.
Llora monotona
como lhora el agua
com llora el viento
sobre la nevada.
Es impossible callar la.
Llora por casas lejanas.
Arena del sur caliente
que pide camelias blancas.
Llora flecha sin blanco,
la tarde sin manana,
y el primer pajaro muerto
sobre la rama.
o guitarra.
Corazon malherido
por cinco espadas.
Fédérico Garcia Lorca
photo Justine E (2de)
Haïku
Le premier papillon du printemps
s’envole ---
d’entre les rayures du zèbre
Imai Sei
photo Mathilde Bo.
Le Dormeur du val (photo Mathilde Bo.)
le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui (photo mathilde B)
à gauche : un vers du Revenant de Parny (photo Marion L 1L1)
à droite un fragment du roi des Aulnes de Goethe (photo Mathilde B TL)
photo Mathilde Bl
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Quand j’ai envie de rire
Oui je ris aux éclats
J’aime celui qui m'aime
Est-ce ma faute à moi
Si ce n’est pas le même
Que j’aime chaque fois
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Que voulez-vous de plus
Que voulez-vous de moi
Je suis faite pour plaire
Et n’y puis rien changer
Mes talons sont trop hauts
Ma taille trop cambrée
Mes seins beaucoup trop durs
Et mes yeux trop cernés
Et puis après
Qu’est-ce que ça peut vous faire
Je suis comme je suis
Je plais à qui je plais
Qu’est-ce que ça peut vous faire
Ce qui m’est arrivé
Oui j’ai aimé quelqu’un
Oui quelqu’un m’a aimé
Comme les enfants qui s’aiment
Simplement savent aimer
Aimer aimer...
Pourquoi me questionner
Je suis là pour vous plaire
Et n’y puis rien changer.
Jacques Prévert
photo Maeva B
(extrait du poème "Atteint" de Guy Régis Junior, nous consacrerons prochainement un article à ce poète dramaturge haïtien)
photographes en plein effort
L'appel du large (Charles Baudelaire)
De la musique avant toute chose
10 parachutistes du 2ème régiment de parachutistes d'infanterie de marine (RPIMA) et du GAM (Groupe d'assaut par mer) au-dessus de la baie de Saint-Paul (photo Tessa 1L)
les Chants de Maldoror (Je te salue Grand Océan!) photo Tessa
Un seul principe : que le dialogue naisse entre une photo et un texte littéraire. L'un ne va pas sans l'autre : « le meilleur compte rendu d'un tableau pourra être un sonnet ou une élégie » Salon de 1846, Baudelaire.
Chaque photo a donc été exposée accompagnée d'un titre, d'un poème et d'indications techniques
POZZO
Ah oui, la nuit mais soyez donc un peu plus attentifs, sinon nous n'arriverons jamais à rien. Regardez. Veux-tu regarder le ciel. Bon ça suffit. Qu'est-ce qu'il a de si extraordinaire ? En tant
que ciel ? Il est pâle et lumineux, comme n'importe quel ciel à cette heure de la journée. Dans ces latitudes. Quand il fait beau. Il y a une heure environ après nous avoir versé depuis mettons
dix heures du matin sans faiblir des torrents de lumière rouge et blanche, il s'est mis à perdre de son éclat, à pâlir, toujours un peu plus, un peu plus, jusqu'à ce que... vlan ! fini ! il ne
bouge plus ! Mais - mais, derrière ce voile de douceur et de calme la nuit galope et viendra se jeter sur nous... pfft ! comme ça au moment où nous nous y attendrons le moins. C'est comme ça que
ça se passe sur cette putain de terre.
En attendant Godot, 1952, Samuel Beckett
photo : Jade
Carmen est maigre - un trait de bistre
Cerne son oeil de gitana.
Ses cheveux d'un noir sinistre,
Sa peau, le diable la tanna.
Les femmes disent qu'elle est laide,
Mais tus les hommes en sont fous :
Et l'archevêque de Tolède
Chante la messe à ses genoux ;
Car sur sa nuque d'ambre fauve
Se tord un énorme chignon
Qui, dénoué, fait dans l'alcôve
Une mante à son corps mignon.
Et, parmi sa pâleur, éclate
Une bouche au rire vainqueur ;
Piment rouge, fleur écarlate,
Qui prend sa pourpre au sang des coeurs.
Ainsi faite, la moricaude,
Bat les plus altières beautés,
Et de ses yeux la lueur chaude
Rend la flamme aux sasiétés.
Elle a, dans sa laideur piquante,
Un grain de sel de cette mer
D'où jaillit, nue et provocante,
L'âcre Vénus du gouffre amer.
Emaux et Camées, 1852, Théophile Gautier
Le casque semble un crâne, et, de squammes couverts,
Les doigts des gantelets luisent comme des vers;
Ces robes de combat ont des plis de suaires;
Ces pieds pétrifiés siéraient aux ossuaires;
Ces piques ont des bois lourds et vertigineux
Où des têtes de mort s'ébauchent dans les noeuds.
Ils sont tous arrogants sur la selle, et leurs bustes
Achèvent les poitrails des destriers robustes;
Les mailles sur leurs flancs croisent leurs durs tricots;
Le mortier des marquis près des tortils ducaux
Rayonne, et sur l'écu, le casque et la rondache,
La perle triple alterne avec les feuilles d'ache;
La chemise de guerre et le manteau de roi
Sont si larges, qu'ils vont du maître au palefroi;
Les plus anciens harnais remontent jusqu'à Rome;
L'armure du cheval sous l'armure de l'homme
Vit d'une vie horrible, et guerrier et coursier
Ne font qu'une seule hydre aux écailles d'acier.
Extrait de Les Chevaliers errants, Eviradnus (La Légende des siècles, 1859) de Victor Hugo
Les Effarés
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
A genoux, cinq petits, - misère ! -
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond...
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.
Et quand pendant que minuit sonne,
Façonné, pétillant et jaune,
On sort le pain ;
Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées,
Et les grillons ;
Quand ce trou chaud souffle la vie ;
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits plein de givre,
- Qu'ils sont là, tous,
Collant leur petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses
Entre les trous,
Mais bien bas, - comme une prière...
Repliés vers cette lumière
Du ciel rouvert,
- Si fort, qu'ils crèvent leur culotte,
- Et que leur lange blanc tremblote
Au vent d'hiver...
Rimbaud
Colloque sentimental
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?
- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.
Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.
- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
Fêtes galantes, Verlaine
Trois allumettes, une à une allumées dans la nuit
La première pour voir ton visage tout entier
La seconde pour voir tes yeux
La dernière pour voir ta bouche
Et l'obscurité toute entière pour me rappeler tout cela
En te serrant dans mes bras.
Jacques Prévert
la muse vénale (photo : Zoé 1S; fleur de frangipanier)
Ô muse de mon cœur, amante des palais,
Auras-tu quand janvier lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ?
Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui percent les volets ?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l'or des voûtes azurées ?
Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir,
Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,
Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas
Et ton rire trempé de pleurs qu'on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.
Les Fleurs du mal, Baudelaire
Vers toi va
l'ombre du bambou
de toi vient
l'éclat de la mousse
Tu te donnes
à la grâce ailée
de deux ou trois feuilles
d'orchidée
A l'apogée du printemps
Du fond du feuillage
Une branche se détache
et fait un geste d'accueil
François Cheng (Double chant, 2000)
Cette photo de juillet 2001 a une histoire. A l'époque, Euphrasie-Framboise vient de m'annoncer qu'elle part à La Réunion. C'est un coup de tonnerre. Elle arrête donc son atelier d'écriture de Kergallic. Pour l'aider à franchir les 10000 kms, je rêve devant mon rosier. C'est décidé, je lui offre la seule rose qui s'y trouve ce jour-là. Pour la créer, mon rosier avait exigé d'être taillé deux mois plus tôt. J'ai retrouvé miraculeusement le petit texte que j'avais écrit à l'occasion, daté du 24 avril 2001 : « Taille ».
Ce n'est encore qu'un bouton lorsque je l'offre à Euphrasie fin juin, avec de vilaines feuilles tachées de rouille. Elle me tient au courant de semaine en semaine : « ta rose fleurit », « ta rose s'épanouit », « elle n'est toujours pas fanée ». Et puis finalement, l'aveu : « je l'ai prise en photo pour ma collection ». Euphrasie-Framboise fait collection de photos de roses fanées.
Pourquoi, a-t-elle ressorti cette photo 8 ans plus tard, il y a une dizaine de jours ?
Je l'ai demandée en prêt pour vous la scanner. Je sens bien que cette histoire n'est pas finie. Il faudra en faire une copie sépia, il faudra faire une photo de cette photo, photocopier cette photo de photo, faire un montage de détails agrandis qui permettent de retrouver l'intensité des regards qui se sont posés sur cette fleur du temps où elle n'était encore que bouton, bourgeon, oeil, de restituer le délicat parfum du pistil et des étamines humé et chanté par les mésanges bleues qui venaient l'admirer.
Il faudra tout faire pour que cette photo, en se fanant, reste, jusqu'à la fin des temps, la plus belle de la collection de photos de roses fanées d'Euphrasie-Framboise.
Taille
Aujourd'hui, je t'ai taillé mon rosier. C'est douloureux. J'ai du mal à couper. Et il faut faire une coupe sévère m'a-t-on dit. Enfin, c'est fini. Mais ça fait mal.
J'ai porté tes épines et tes fruits à la déchetterie. Je sais que tu m'attends. La vie est une chose minuscule, une location. Mes os en poudre, mon sang desséché seront pour toi, mon rosier.
Tailler son rosier
Couper toujours couper
Rogner trancher entailler
Laisser pleurer sécher
Ramasser rameaux
Sur mon crâne
Faire tomber la grande pierre
Et poser une rose dessus