Ah ! l’essuie-glace qui fonctionne avec le compteur de vitesse, les demi-vitres articulées horizontalement des portières avant, qu’on maintient ouvertes avec le coude et maintenues relevées grâce à un bouchon de caoutchouc troué, la capote roulée en été jusqu'à la lunette arrière, la jauge souple dans le réservoir d’essence, la bobine sur le tube des phares à envelopper dans un sac plastique pour la protéger de l'humidité, les amortisseurs à friction réglables et autres détails qui tuent… Ah ! nostalgie ! Après avoir célébré la 4L, il était de mon devoir de consacrer un article à la Deudeuche, d’autant qu’elle est aussi une voiture très présente à Mada.
Je commence avec une photo de 1958. A gauche, la mythique Mathis de mon grand-père Tanis. A droite, la non moins mythique 2cv de mon père. Moi et mes 8 ans entre les 2. Il se trouve que j'ai croisé cette après-midi une Mathis restaurée à quelques kilomètres de chez moi, à Saint-Mars de Coutais. J'irai voir bientôt l'artiste-restaurateur. Le propriétaire de la belle Mathis m'a laissé photographier son bolide, impeccable. J'ai même reconnu le bruit du moteur. 53 ans après. Avant la seconde guerre mondiale, Mathis était la plus importante marque automobile française après Citroën, Renault et Peugeot. Slogan : "le poids, voilà l'ennemi"
Avant la 2de Guerre mondiale, à l'époque où circulent les Mathis, la future deudeuche est déjà en projet, avec un bicylindre à plat refroidi par eau (prototype ci-dessous)
Salon de 1948
succès immédiat ; en 1950 il faut attendre 6 ans pour acquérir cette voiture vendue 185 000 ancien francs
La 2cv de droite c'est la 1ère 2cv, une 2 cv A. Elle est commercialisée l'année de ma naissance : 1949. 62 ans plus tard, des 2 cv en parfait état roulent tous les jours, en France, à Tana, à Diego, dans le monde entier.
1961, mon père m'emmène à Villard de Lans en 2 cv AZU ; ici près de Saint-Etienne
1968 ; de gauche à droite, l'ami 6 de mon père, ma 2 cv AZ (je viens d'avoir 18 ans), celle de grand-père Tanis, celle de ma tante Marta.
Dès sa naissance, la 2 cv a participé à des raids ; en témoigne la 2 cv Sahara à 2 moteurs dans les années 60.
En 1973, la presse parle du raid Abidjan-Tunis (ci-dessus)
L'année précédente je suis revenu du nord de la Norvège jusqu'à Nantes au volant d'une 2 cv, période babacool
En 2007, 38 2cv ont fait 15000 kms pour rejoindre la Chine en 40 jours en empruntant la route de la Soie
au 1/43è, la collection des voitures que mon père a possédées : 5 cv Citroën trèfle avec différentiel (contrairement à la 5 cv Peugeot) 203, 2 cv AZ ... (je me souviens encore très bien de balades en campagne avec la 5 cv jaune citron)
la 1ère en bas à gauche est le modèle 1949, la 2è est une Dinky toys, ensuite s'ajoutent des Norev et Solido comme au bon vieux temps
toute l'année 2010-11 j'ai voulu acheter la deuche de Yves, mon voisin et collègue au lycée français de Diego, mais il n'a jamais voulu
depuis 2 ans je vois régulièrement cette 2 cv en excellent état rouler dans les rues de Diego
et celle-ci dans les rues de Tana (sa propriétaire était fière de me voir la photographier)
sur mon balcon
le tee-shirt de Nirina à Diego
les 3 photos ci-dessus accompagnent l'article suivant
Le Monde du 23 juillet 2011
« C’était la voiture des bonnes années »
D’abord, il y a le son, reconnaissable entre mille. […] Christian Komaniecki est sûr d’une chose : "La 2CV a une âme." Et, si vous avez un peu de temps, il est prêt à la démonter de A à Z pour vous montrer ce qu’elle cache de singulier, de spirituel presque, dans ses tréfonds. © Antonin Sabot / LeMonde.fr
Ce matin-là, dans l’atelier du 2CV club de Sucy, le président de l’association s’attelle justement à ausculter un moteur posé sur son établi. Soixante kilos de ferraille et d’humanité que cette force de la nature (108 kilos), salopette maculée, chaussures difformes et mains noircies par le cambouis, dévisse, revisse, goupillonne, écouvillonne. Avec sa grosse paluche, il torture vigoureusement un boulon ou manie avec délicatesse un joint minuscule, comme s’il réparait une poupée.
L’atelier est une extraordinaire caverne, remplie jusqu’au plafond de pièces détachées, de moteurs, de calandres, de banquettes. La petite cour arrière est encombrée de carrosseries en plus ou moins bon état, près d’une soixantaine. Dans le garage mitoyen, sont entreposés les bijoux du club, recouverts de housses, des modèles rutilants comme s'ils sortaient d’un salon de l’auto.
Dehors, Joël Sicard, Philippe Debourdeau et Yves Moreau, trois des quelque cinquante membres du club, s’affairent autour d’un moteur. Ça discute ferme autour du carburateur, ça ronfle, ça s’engueule même un peu, entre celui qui sait et celui qui sait encore mieux. Et puis ça finit par se détendre en même temps que le moteur se met à chanter juste.
Tout le monde est un petit peu sous pression, en ce moment. Ce dimanche, le club migre à Salbris (Loir-et-Cher), où se déroule du 26 au 31 juillet le Mondial de la 2CV, rendez-vous bisannuel des passionnés. Cinq mille voitures sont attendues, 2CV ou succédanés (Dyane, Ami 6, Méhari, car on n’est pas sectaire tant que cela reste avec des chevrons Citroën). Les Sucysiens géreront sur place un garage de réparation. Alors, pas question d’oublier la bonne clé, le bon boulon de rechange.
Comment expliquer un tel engouement, une telle fidélité à la "deux pattes", la "deuche", la "deudeuche" ? Présentée au salon de l’auto 1948 où elle fut moquée, déjà, sortie des premières chaînes en 1949, elle a été vendue à près de six millions d’exemplaires (je lance ce chiffre au risque de me faire épingler par les spécialistes car il y a débat). La production s’est arrêtée en France en 1988, avant l’arrêt définitif au Portugal, deux ans plus tard. Vingt trois ans déjà qu'elle a fait sa sortie de route.
Alors pourquoi cette voiture continue-t-elle de transcender les générations au point qu’aujourd’hui le plus jeune membre du club de Sucy a 20 ans et la doyenne 90 ans ? "On aime la 2CV pour tous ses défauts, tente Christian Komaniecki. Elle va à l’encontre de l’air du temps par sa lenteur, son côté spartiate aussi : il n’y a pas d’écran vidéo à l’arrière pour les enfants. Sa solidité est aussi un pied de nez à la société de consommation, alors qu’on offre aujourd’hui des primes à la casse pour des voitures qui ont à peine vécu." Mais, surtout, n’allez pas dire au président que c’est un tape-cul ! "C’est très confortable, contrairement à ce que vous pensez. "
Au-delà, la 2CV et ses formes hors du temps drainent indéniablement la nostalgie. C’était la voiture de l’après-guerre puis des Trente Glorieuses. C'était l'époque où on avait le temps d'aller quelque part. C’était les départs en vacances, la capote ouverte, roulée comme un couvercle de boîte de sardines. C’était les sièges à élastique où on s’enfonçait jusqu’à ne plus voir la route. C’était le temps où les familles étaient Citroën, Renault, Simca ou Renault, de père en fils, avant la mondialisation, les délocalisations.
[…]
Aujourd’hui, Christian Komaniecki possède une quinzaine de 2CV roulantes et une soixantaine d’épaves. Notamment un exemplaire qui fait sa fierté en même temps que l’envie des autres collectionneurs : une version de 1949, "datant du premier mois de production", la 148e sortie des chaînes, récupérée dans une ferme où elle servait de poulailler. […]
Ce n'est sans doute qu'un hasard mais le club de Sucy a été créé en 1973, au moment du premier choc pétrolier, de la première crise économique. Comme s'il fallait créer un conservatoire à ce symbole des jours heureux. Ce temps-là est aujourd’hui idéalisé, bien sûr. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les catalogues de référence. Prix d’achat en 1949 : 185000 francs. Prix d’achat en 1959 : 410.000 francs. Dire si l’inflation, la vie chère, est aussi vieille que la monnaie et la nostalgie plus increvable encore qu'une 2CV…
quelques captures d'écran d'un bref documentaire diffusé sur la 2 en février 2008