L'église de Canteleu
C'est mon âge qui veut ça, je vois de plus en plus souvent mourir autour de moi. Et à Mada on meurt jeune. L'article Hadès (28 décembre 2008) a déjà deux ans, il faut donc remettre nos pas dans
ceux d'Orphée, Thésée, Tantale, Heraklès, Ulysse, Dante, Virgile etc, méditer à nouveau devant la flamme d'une chandelle, mouiller le marbre et en revenir plus vivant que jamais.
Dimanche 19 décembre, j'étais au chevet du beau-père de mon amie Edwige, à l'hôpital Bé. Ses enfants et ses petits-enfants l'entourent. Mon âge. Si décharné, si épuisé par les dysfonctionnements
digestifs que je me demande s'il ressortira vivant de l'hôpital.
A 23h, le soir même, mon téléphone a sonné. C'était fini. Revenu à l'hôpital bé, j'ai compris assez vite que personne n'avait d'argent pour appeler un taxi. Après la toilette au formol, vers 3h,
ma 4L a donc servi de corbillard (8 vivants et 1 mort, banquette arrière repliée), à 15 km/h, jusqu'au domicile du défunt, à 8 kms, route d'Arrachart. Dignité, recueillement, émotion, tristesse.
Je suis rentré chez moi sans être arrêté par la police et sans être agressé. Puis j'ai pris mon avion pour la France dans le petit matin ou plutôt granmatin puisque je faisais escale à la
Réunion.
Je ne puis oublier le sang-froid et la patience de la majorité des malgaches dans les situations difficiles.
Aujourd'hui, la fille adoptive d'Edwige part à Tana pour enterrer son papa. Mais le taxi-brousse est en panne en raison des pluies diluviennes. Demain viendront d'autres morts.
Mahé-bourg (Maurice) 14 mai 2009
Hier, les agrégatifs de Lettres Modernes devaient exploiter, en 7h, parmi d'autres textes, ce poème de François Coppée : La famille du menuisier, extrait de Les Humbles (1872)
Le marchand de cercueils vient de trousser ses manches
Et rabote en sifflant, les pieds dans les copeaux.
L’année est bonne ; il n’a pas le moindre repos
Et même il ne boit plus son gain tous les dimanches.
Tout en jouant parmi les longues bières blanches,
Ses enfants, deux blondins tout roses et dispos,
Quand passe un corbillard, lui tirent leurs chapeaux
Et bénissent la mort qui fait vendre des planches.
La mère, supputant de combien s’accroîtra
Son épargne, s’il vient un nouveau choléra,
Tricote, en souriant, au seuil de la boutique ;
Et ce groupe joyeux, dans l’or d’un soir d’été,
Offre un tableau de paix naïve et domestique,
De bien-être honorable et de bonne santé.
Ils ont échappé à des textes funèbres plus pénibles, par exemple celui qu'écrit Zola pour raconter l'enterrement du Vieux, l'érmite de Croisset :
http://jb.guinot.pagesperso-orange.fr/pages/flauzola.html
Mais le désenchantement verlainien console aussi.
L’Enterrement
Je ne sais rien de gai comme un enterrement !
Le fossoyeur qui chante et sa pioche qui brille,
La cloche, au loin, dans l’air, lançant son svelte trille,
Le prêtre en blanc surplis, qui prie allègrement,
L’enfant de choeur avec sa voix fraîche de fille,
Et quand, au fond du trou, bien chaud, douillettement,
S’installe le cercueil, le mol éboulement
De la terre, édredon du défunt, heureux drille,
Tout cela me paraît charmant, en vérité !
Et puis tout rondelets, sous leur frac écourté,
Les croque-morts au nez rougi par les pourboires,
Et puis les beaux discours concis, mais pleins de sens,
Et puis, coeurs élargis, fronts où flotte une gloire,
Les héritiers resplendissants !
Paul Verlaine
Pas autant certes que l'humour de Marcel Duchamp.
Je poste quelques tombes déjà présentes sous un autre angle dans Hadès 28 dec 08 : Balzac, JB Poquelin, Apollinaire, Vallès. J'y ajoute Delacroix, un poète trop oublié : Louis Bouilhet et surtout
Proust pour qui j'ai eu besoin de 2 photos. J'ai pris tous les clichés au Père Lachaise, sauf Duchamp et Bouilhet (Rouen). Ceux qui voudraient faire une visite virtuelle du célèbre cimetière
parisien : www.pere-lachaise.com
Pour parfaire son travail de deuil,
je conseille le petit livre du tourangeau Stéphane Audeguy : In Memoriam, Gallimard, 2009.
Ces petits textes racontent la mort d’un grand nombre de personnages, historiques ou pas.
Exemples :
Molière, auteur dramatique
Comme les acteurs n’avaient pas droit à une sépulture chrétienne et que la tradition voulait que la terre des cimetières fût consacrée sur une épaisseur de quatre pids, un haut dignitaire de
l’Eglise, peut être un peu jésuite, suggéra qu’on creusa plus profond la fosse destinée à Molière.
Coligny, amiral.
Il fut la première victime de la Saint Barthélémy. Frappé de plusieurs coups d’épée, il est jeté dans la cour de son logis où le duc de Guise lui donne un coup de pied. Le peuple quant à lui
coupe les mains de Coligny, sa tête, son sexe, puis jette le corps à la Seine. On le repêche ensuite pour le pendre au gibet de Montfaucon, par les pieds. Dans cette position, on tâche de le
brûler. On y parvient partiellement.
Baoulé, ethnie africaine.
Chez les baoulé on ne meurt pas. Il existe un second univers, identique à celui-ci, où chacun comme ici possède une famille. Et l’on passe de l’un à l’autre.