Mon île-fougère
Mon île, arbre de poésies
Qui dresse ses branches basaltiques
Vers notre ciel indien de vie,
Elle sent les parfums des tropiques.
Mon île-fougère des ethnies,
Peuple Coromandel et Surate,
Pays de l'Androy, noir paradis !
Bretons dans le cirque de Mafate.
Mon île, arbre de poésies,
Désirs de Parny et du Parnasse,
Regrets de Dierx et la nostalgie
D'un Lacaussade transi qui passe.
Mon île, vieil arbre folklorique
Aux fruits d'ébène du maloya,
La sueur du caïambre typique,
Du bobre aux accents des parias.
Le rouleur qui épouse la transe
D'un passé qui remonte en mémoire,
Comme les laves et cendres denses
De ces volcans assoiffés d'espoir.
Mon île, vieil arbre folklorique
Aux fruits apprivoisés du séga,
Madoré avec son grand soubique
Débordant de misère et d'arack.
Nos ségatiers épris de poussière,
Bal la robée, piment écrasé
Pour faire voltiger le zézère
Dans le ciel d'un pays envoûté.
Mon île, arbre artisanal,
Avenir crucifié des vacoas,
Où est donc la feuille de sisal,
Riche d'or et du miel vert des rois ?
Jours de Cilaos et nos dentelles,
Nos paille-en-queue tournent en rond
Pour avoir perdu leurs grandes ailes,
Si familières aux cris du vent.
Nos brodeuses aux doigts écorchés
Sur les écheveaux hardis du temps.
L'oiseau de la vierge a oublié
Le chemin des prières d'antan.
Ile, arbre de mélancolie
Aux mille pêcheurs acupuncteurs
Qui montent la garde chaque nuit
Sur le ventre ridé de la mer.
Ils murmurent avec les étoiles,
Ecoutent la rumeur océane;
Leur regard est un tramail que voile
L'éclat incertain d'un frangipane.
Ile, arbre de béton et d'acier
Aux cages de poc-poc éclaté
Sur les visages trop émaciés
Des hommes, violés par nos cités.
Il n'est plus de joie pour le lagon,
Déchiqueté et mis en lambeaux ;
Ensevelis les poissons d'argent,
Sous le sable où meurent des châteaux.
Il est quelques femmes aux seins nus,
Accrochées aux récifs de la mer,
Pour s'offrir aux chevaux éperdus
Et embrasser le ciel entrouvert.
Il n'est plus de gamins sur les routes
Pour vendre des arums et des prunes !
Prisonniers de leur âme en déroute,
Ils rêvent de décrocher la lune.
Il n'est plus de Cirques isolés,
Protégés par les tamariniers !
Mafate, Grand-Bassin, saccagés
Souvent par nos bottes araignées.
Il n'est plus de chasse aux Noirs marrons,
Il n'est plus de chabouc, de gibet,
Mais il est une île à élections
Qui se gagnent à coups de galets.
Ile Mascarenhas retrouvée !
La route des Indes sur le dos
Des mustangs portés par l'alizé.
Il n'est plus de chant pour les dodos.
Il n'est plus de vie pour les tortues
Marines ! Fossilisé l'espoir
De découvrir la trace perdue
D'un oeuf, pour recommencer l'histoire.
Valval, 1980
Jean-François Sam-Long
JF Sam-Long est né en 1949 à Sainte-Marie. Il a reçu le Prix de la Société des Gens de Lettres en 1994 pour L'Arbre de violence, le Prix Charles-Brisset en 1992 pour La Nuit cyclone, le Prix des Mascareignes en 1986 pour son roman Madame Desbassayns, le Prix de Madagascar en 1982 pour Terre arrachée. Il a créé une association d'écrivains, l'UDIR, Union pour la Diffusion de l'Identité Réunionnaise, ainsi qu'une maison d'édition et le mouvement Créolie. Il est actuellement Chargé de mission LCR (Langue et Culture Régionales) pour les collèges et lycées.